12/11/2024
The Commandant's Shadow
L’ombre en question ici est celle du tristement célèbre Rudolf Höss, ex-commandant du camp d’extermination d’Auschwitz durant le second conflit mondial, où un million de Juifs furent exécutés, et à ce titre, un des principaux protagonistes de la Shoah, à mettre dans la catégorie des Hitler, Himmler, Heydrich…etc. Soit les plus grands meurtriers de l’Histoire.
Une ombre qui plane à la fois sur son fils et son petit-fils, et sur certains survivants juifs des camps nazis et leurs descendants, en l’occurrence ici Anita Lasker-Wallfisch et sa fille. La première particularité du documentaire est d’avoir utilisé comme narration (en voix off) des extraits du témoignage écrit de Höss, écrit juste avant son exécution dans le camp-même d’Auschwitz le 16 avril 1947. La raison est, peut-être, le souci de cristalliser l’horreur insondable et la banalité du mal, concept que l’on doit à Hannah Arendt et qu’on avait vu cette même année 2024 appliqué à ce même Hôss dans un autre film (The Zone of Interest de Jonathan Glazer, oscar du meilleur film en langue étrangère).
En effet, le témoignage laissé par Höss permettait de constater à quel point le personnage était d’une monstruosité froide et abjecte jusqu’au bout. Il éprouve certes de la pitié à exécuter froidement (Rudolf Hoess. Le commandant d’Auschwitz, 2005, La Découverte, p. 157) mais ne renie ni le national-socialisme (p. 216) ni l’antisémitisme (p. 218). Il reconnait que « l’extermination des Juifs constituait une erreur » (p. 217) mais pour une raison de pragmatisme (« d’aucune utilité », p. 218)… Aucune repentance mais seulement la reconnaissance que son sort était mérité : « J’étais un rouage inconscient de l’immense machine d’extermination du Troisième Reich. La machine est brisée, le moteur a disparu et je dois en faire autant. Le monde l’exige. » (p. 221).
Sinon, l’apport essentiel de ce documentaire qui propose au passage une contextualisation claire et précise sur la Shoah est d’ordre pédagogique. Proposant un travail sur la mémoire, il met en avant une rencontre a priori inconcevable entre enfants de bourreaux et victime de ce même bourreau et souligne la nécessité du dialogue et de la compréhension (à défaut de réconciliation). Dans ce cadre de la mémoire, ce nouveau matériau peut d’ailleurs être inclus par les enseignants de la spécialité HGGSP en classe de Terminale dans l’Objet de travail conclusif « L’histoire et les mémoires du génocide des Juifs et des Tsiganes » (Jalon « Le génocide dans la littérature et le cinéma »).
Tout documentaire politique a une dimension idéologique et celui-ci n’échappe pas à la règle. Que le petit-fils de Rudolf Höss – qui semble très meurtri par un sentiment implacable de culpabilité – s’excuse auprès des rescapés de la Shoah est un acte noble. Qu’il affirme par contre « vous êtes le peuple élu de Dieu » est franchement sidérant et participe de ce sentiment de « peuple supérieur » dont se targuent certains, appuyés en cela par un fait religieux (et donc pas historique). Moraliser la fille de Höss (« n’êtes-vous pas dans le déni ? » lui demande-t-on) qui pour sa part ne ressent pas de remord nous a semblé également abusif. Pourquoi devrait-elle se sentir coupable pour quelque chose qu’elle n’a pas commise ? Mais là où le bât blesse est le mot de la fin. La caméra surplombant le désert de Judée, il est rappelé qu’ici a été créé un Etat pour protéger les Juifs à la suite de l’Holocauste, déformation grossière de l’Histoire, lorsque l’ont sait que, d’une part, le projet sioniste s’est mis en place dès la fin du XIXème siècle, et que d’autre part, l’Etat d’Israël fut créé et élargi aux dépens du peuple palestinien spolié de ses droits. A l’heure du génocide perpétré à Gaza, le message passe très mal.
C’est ainsi que nous sommes restés sur un sentiment mitigé. Perpétuer la mémoire du génocide des Juifs est quelque chose de fondamental. Le faire (même indirectement) au service de la propagande israélienne est tout simplement déplacé.
JM Naoufal
The Commandant’s Shadow (Daniela Völker, UK, USA, 2024, 103 min)
23:10 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : rudolf höss, israël, shoah, holocauste, auschwitz, jürgen höss, the commandant's shadow
06/11/2024
The Apprentice
L’envie nous est venue d’aller voir ce portrait au vitriol de Donald Trump le jour-même de sa victoire prévisible (à notre sens, la candidate démocrate Kamala Harris – choisie par défaut – n’était pas une opposante sérieuse) à la présidence américaine. Pour la symbolique. Pour le fun aussi, même si on s’était dit, au départ, que ça ne valait pas vraiment la peine de dépenser de l’argent pour un opus sur le président américain le plus controversé de l’histoire.
Après lecture de l’ouvrage choc de Michael Wolff, Le feu et la fureur : Trump à la Maison Blanche (2018), j’avais posté ceci sur Instagram :
« Quel intérêt à lire à propos de celui qui est dépeint comme “moins une personne qu’une accumulation de traits de caractère épouvantables” ? 1.Se (re)préparer psychologiquement à la possible victoire de celui-ci à la présidentielle US de novembre prochain, 2.Comprendre une bonne fois pour toutes le dépérissement inexorable du politique, 3.Comprendre la puissance du lobbying tout azimut ou “la conjuration des imbéciles” (regretté John Kennedy Tool).
“La plupart des hauts responsables pensent que la seule utilité à faire partie de l’administration Trump, c’est d’empêcher le pire de se produire. […] Finalement, ce dont je fus le témoin, et qui constitue le sujet même de ce livre c’est la manière dont des individus ont lutté pour trouver un sens au fait de travailler pour Trump” […]. »
Sauf qu’ici, il ne s’agit pas de politique puisque contrairement à d’autres présidents américains (Reagan, Bush, Lincoln, Adams…), Trump n’a pas eu droit à un moment politique mais à un faux biopic sur ces débuts dans le business de la cour des grands. Mais pas seulement et le titre – détournant celui de la fameuse série TV de Trump (2004-2017) – est judicieux puisqu’il s’agit d’un apprentissage à devenir un vrai salaud. La question qu’il fallait donc se poser ici est « qu’est-ce qu’on a appris d’intéressant ? » ; que ténacité, persévérance, agressivité et assurance peuvent mener au succès et au pouvoir ? Déjà vu. Simplement, que le personnage – qui a tout de même réussi à revenir à la Maison Blanche malgré vents et marées – est un modèle d’absence totale d’empathie, de désir décomplexé de puissance, d’incarnation de narcissisme inextinguible, et constitue à ce titre un cas clinique, véritable régal pour les psychanalystes. JM Naoufal
The Apprentice (Ali Abbasi, USA/Irl/Can/Dan, 2024, 120 min)
Avec Sebastian Stan, Jeremy Strong, Maria Bakalova, Martin Donovan.
19:31 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : donald trump, the apprentice, sebastian stan, jeremy strong, trump
01/11/2024
La cité des nuages et des oiseaux
Lauréat du Pulitzer pour un autre de ses romans acclamés par la critique, l’auteur rend hommage à l’univers littéraire à travers trois histoires en parallèle : celle d’Omeir et Anna de part et d’autre d’une Constantinople assiégée en cette fatidique année 1453 ; de Zeno, un libraire de Lakeport (Idaho) où Seymour, jeune autiste s’implique avec des écoterroristes ; et Konstance, une jeune fille au bord de l’Argos, un vaisseau interstellaire devant rejoindre au XXII la planète Bêta Oph2.
Les trois histoires sont liées par un ancien codex grec (fictif) rédigé par Antoine Diogène (non-fictif), un auteur grec qui aurait vécu au IIème siècle.
Voilà donc ce que j’appellerais un ovni, de par sa structure narrative et son inventivité. En dépit d’un récit un peu alambiqué et longuet, c’est beau à lire. Zweig aimait rappeler que “ce ne sont pas les morts illustres qui font la valeur d’un pays. Ce sont les gens qui y vivent (…) c’est à travers les anonymes qu’il se perpétue”. Doerr salue ces personnages fragiles et inquiets face au destin tragique, tout en proposant une réflexion existentielle et édifiante sur la filiation entre Littérature et Histoire. Surtout, il rappelle à qui veut l’entendre que le futur c’est déjà demain. JM Naoufal
Anthony Doerr, La cité des nuages et des oiseaux, 2022.
Paru pour la première fois en 2021 sous le titre original Cloud Cuckoo Land.
07:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anthony doerr, imaginaire, science-fiction