26/01/2025
La planète inquiète
"L'air surchauffé racornit narines et gosiers. Des hommes, des femmes luttent. Ils marchent, mécaniques, comme ces recrues de fatigue, soldats de la défaite qu'on fait tourner dans l'enceinte barbelée d'un camp disciplinaire. Ils marchent, sans savoir où les mènera tant de souffrance reniée. Sans comprendre ce qui les pousse ni connaître le but. De loin en loin, quelqu'un tombe. La horde l'absorbe en une meurtrière phagocytose. Rien ne peut la détourner. Elle a une route à ouvrir, une voie à tracer. Bien après que sera tari le flot monotone, la plaine éventrée gardera la cicatrice de son passage".
C'est ainsi que débute Christian Léourier débute cette complainte stridente d'humains impuissants face au désespoir et l'absurdité de l'existence. L'auteur du célèbre Cycle de Lanmeur (1984-1994) et du génial Hellstrid (2019) sonde ici la psychose terrienne. Un récit très sensoriel et non moins lyrique.
Christian Léourier, La planète inquiète, Hélios, 2019, 336 p.
(Ouvrage paru pour la première fois en 1979).
11:03 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christian léourier, la planète inquiète, science-fiction, dystopie
01/11/2024
La cité des nuages et des oiseaux
Lauréat du Pulitzer pour un autre de ses romans acclamés par la critique, l’auteur rend hommage à l’univers littéraire à travers trois histoires en parallèle : celle d’Omeir et Anna de part et d’autre d’une Constantinople assiégée en cette fatidique année 1453 ; de Zeno, un libraire de Lakeport (Idaho) où Seymour, jeune autiste s’implique avec des écoterroristes ; et Konstance, une jeune fille au bord de l’Argos, un vaisseau interstellaire devant rejoindre au XXII la planète Bêta Oph2.
Les trois histoires sont liées par un ancien codex grec (fictif) rédigé par Antoine Diogène (non-fictif), un auteur grec qui aurait vécu au IIème siècle.
Voilà donc ce que j’appellerais un ovni, de par sa structure narrative et son inventivité. En dépit d’un récit un peu alambiqué et longuet, c’est beau à lire. Zweig aimait rappeler que “ce ne sont pas les morts illustres qui font la valeur d’un pays. Ce sont les gens qui y vivent (…) c’est à travers les anonymes qu’il se perpétue”. Doerr salue ces personnages fragiles et inquiets face au destin tragique, tout en proposant une réflexion existentielle et édifiante sur la filiation entre Littérature et Histoire. Surtout, il rappelle à qui veut l’entendre que le futur c’est déjà demain. JM Naoufal
Anthony Doerr, La cité des nuages et des oiseaux, 2022.
Paru pour la première fois en 2021 sous le titre original Cloud Cuckoo Land.
07:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : anthony doerr, imaginaire, science-fiction
22/01/2022
Le goût de l'immortalité
On a également découvert cette autrice sur le tard, lauréate ici du Grand prix de l'imaginaire (2007), du Prix Bob Morane (2006) et du Prix du lundi de la SF française (2007). La structure du roman est une longue lettre, inspirée des Mémoires d'Hadrien (1951) de Marguerite Yourcenar. Racontée par une adolescente étrange et âgée de plusieurs siècles, l'histoire se situe en Mandchourie, en l'an 2213, plus précisément dans la ville hautement technologique de Ha Rebin. Secondé par cette fille, l'entomologiste Cmatic y mène son enquête tandis qu'une pandémie décime nos sociétés déjà ravagées par une pollution endémique (thématique remise d'ailleurs à l'ordre du jour avec la pandémie de Covic-19). Cette association le ménera vers l'immortalité, ou tout simplement vers un enfer sans nom. Le texte est riche, vertigineux, complexe à souhait, l'histoire est envoutante... Hormis la structure narrative qui participe de ce renouveau de la SF française, nous avons été fascinés par cette inventivité lexicalle et par ce récit sans compromis. Brillant. J. N.
Catherine Dufour, Le goût de l'immortalité, Le Livre de Poche, 2020, 318 p.
(publié pour la première fois en 2005 aux éditions Mnémos)
12:28 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : catherine dufour, le goût de l'immortalité, science-fiction
22/12/2021
La vérité avant-dernière
Dans les tréfonds de la terre, bien à l'étroit dans leurs abris anti-atomiques, hommes, femmes et enfants continuent à fabriquer des soldats-robots à la chaîne, contraints en cela par un quota mensuel et encouragés par la voix du dirigeant "protecteur" Talbot Yancy. Car au-dessus, la guerre fait rage et il en va du futur de l'humanité. Mais est-ce vraiment le cas? Cela fait un moment que les informations récoltées par ci par là, semblent contradictoires. Que se passe-t-il réellement à la surface? Prenant son courage à deux mains, Nicholas Saint-James décide de s'y rendre...
Notre auteur préféré, qu'on ne présente plus et dont on vient d'écouter sur France Culture un excellent podcast qui lui est consacré ("Philip K. Dick, de la mystification à la psychose : des réalités malmenées (1928-1982"), continue de nous exalter avec ses dystopies tranchantes. A ce concept typique de l'anticipation (synonyme de contre-utopie) se conjuguent ici le thème de la manipulation de l'information (propagande et manipulation des masses ne sont pas en reste non plus), 50 ans avant que désinformation et fake news ne fassent des ravages dans nos sociétés débilisées par l'infobésité et le trop-plein de micro-information, et une réflexion futuriste sur la lutte des classes, qui n'est pas sans rappeler Le pianiste déchaîné, première oeuvre du brillant Kurt Vonnegut. Cette ultime vérité qui nous balance à la figure un simulacre (encore et toujours) de manière on ne peut plus cynique et perverse (adjectifs caractérisant, in fine, les mondes hallucinés de Philip K. Dick), fait partie de ces romans dickiens se lisant d'une traite tout en restant incisifs. L'essentiel en ce qui nous concerne. J. N.
Philip K. Dick, La vérité avant-dernière, J'ai Lu, 2014 (1974), 283 p.
(publié pour la première fois sous le titre original The Penultimate Truth, 1966)
19:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philip k. dick, la vérité avant-dernière, anticipation, science-fiction, dystopie, contre-utopie, lutte des classes, manipulation des médias, manipulation de l'information, fake news, désinformation
13/10/2021
La patrouille du temps
Encore un auteur qu'on lit sur le tard. On a clairement compris, en lisant cette nouvelle d'une centaine de pages (les autres nouvelles qui lui font suite dans cette édition Le Livre de Poche sont des histoires connexes), la raison pour laquelle Poul Anderson (1926-2001), lauréat de 7 prix Hugo et trois prix Nebulla (excusez du peu) était un auteur de science-fiction avec une grande influence, aussi bien sur la littérature du même genre que sur le cinéma (une de ses oeuvres a d'ailleurs inspiré l'ambitieux Avatar de James Cameron).
Dans les années 1950, Manse Everard, en quête désespérée de travail, est recrutée par la "Patrouille du temps". Lors d'un stage intensif, les recrues apprennent le "temporel", la langue commune des patrouilleurs. Et pour cause, ces derniers sont éparpillés sur d'incalculables temporalités. Le voyage dans le temps? Découvert 100 siècles plus tard par les Danelliens, cette race de surhommes qui n'en peut plus que des hurluberlus sautent dans le temps qui pour se tailler un empire qui pour effacer une civilisation. Car au final, c'est eux l'enjeu... Les patrouilleurs ont pour mission de "restaurer" le temps, ce qui n'est sans rappeler Loki et le Tribunal des variations anchroniques. Everard est balancé d'époque en époque (ça commence en Angleterre, au XIXe) pour résoudre plusieurs énigmes pressantes. Il n'en sortira pas indemne.
Vaste projet débuté avec cette nouvelle dont les suites seront innombrables : place de l'homme dans l'univers, thématique de la renaissance métaphysique, sujet incontournable du libre-arbitre, clash des civilisations, le temps, la mémoire...etc. C'est foisonnant et c'est brillamment distillé dans un récit aussi court. Au final, il s'agit essentiellement d'un traitement intelligent via le space opera du thème du paradoxe du temps, qu'on retrouvera également chez de nombreux auteurs de SF de la même génération (Robert Silverberg, Richard Matheson) ou qui les précéda (Clifford Simak, Robert Heinlein). Avec un peu plus de temps, on arrivera bien à "choper" et lire deux autres romans majeurs de celui qui a reçu également le prix de Grand maître de la science-fiction (1997), Barrière mentale (1954) et Tau Zero (1970). J. N.
Poul Anderson, La patrouille du temps (et autres nouvelles), Le Livre de Poche, 2020 (2014), 286 p.
(publié pour la première fois en 1960 sous le titre original Guardians of Time)
15:41 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : poul anderson, paradoxe du temps, la patrouille du temps, space opera, le livre de poche, science-fiction