25/10/2021
Orages d'acier
Ca faisait un bail que nous désirions lire ce célèbre témoignage de la Grande guerre. C'est ce bon J. C. qui nous avait fait découvrir l'auteur il y a environ une quinzaine d'années mais il s'agissait de cet étrange roman de science-fiction (que nous avons adoré), Eumewsil (1977), traitant de la figure de l'anarque. Puis lorsque nous avons commencé à enseigner l'Histoire en classe de Première au lycée, et notamment la Première Guerre mondiale, nous découvrions à nouveau l'auteur, plus précisément des extraits de cet ouvrage, constituant un document à travailler avec les élèves.
Très imagé et métaphorique, poétique par moments, ce témoignage concernant essentiellement la tristement célèbre guerre des tranchées, nous a littéralement transporté. Le tout se lit d'une traite. Ce qui est surtout marquant est le fait que le récit, héroïque à souhait (Jünger fut blessé 14 fois au front) est simplement descriptif, froid, "clinique", lorsqu'il s'agit de parler des morts, des blessés, des mutilations affreuses. Point d'émotion à ce niveau-là. Celle-ci se concentre plutôt sur le soldat-héros (avec le grade de lieutenant, Jünger fait partie des 14 lieutenants de toute l'armée allemande à avoir reçu l'Ordre pour le Mérite, plus haute distinction militaire - fondée par Frédéric II en 1740), et toute cette ferveur affichée (il faut dire que le nationalisme allemand bat son plein à ce moment-là) quand il s'agit de combattre et de tuer. Ce qui explique, entre autre, l'apparition de la notion de "brutalisation des soldats".
Ce qu'André Gide considère comme "incontestablement le plus beau livre de guerre que j'ai lu, d'une bonne foi, d'une honnêteté, d'une véracité parfaites", est un témoignage édifiant et incontournable sur ce que fut la guerre de position. Toute personne s'y intéressant doit lire cette autobiographie de guerre qui a fêté ses 100 ans l'an passé. Deux petits extraits ci-dessous pour R.
J. N.
"(...) C'est seulement par la suite que je connus l'entrechoc, le combat qui culmine dans l'apparition des vagues d'assaut, en terrain découvert, peuplant pour quelques minutes décisives et mortelles le vide chaotique du champ de bataille."
"Au-dessus du sol dépouillé, si impitoyablement déchiré et redéchiré, flottaient des gaz étouffants qui, jaunes et bruns, erraient nonchalamment. (...) La terre jaillissait en jets rugissants et une grêle d'éclats balayait le sol comme une ondée."
Ernst Jünger, Orages d'acier, Paris, Le Livre de Poche, 2020 (1989), 380 p.
(publié pour la première fois en 1920 sous le titre original In Stahlgewittern)
16:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : ernst jünger, orages d'acier, première guerre mondiale, guerre de position, guerre des tranchées, allemagne
15/01/2020
1917
France, 1917. Deux soldats britanniques se voient assigner une mission quasi-impossible. Ils doivent traverser le no man's land puis les lignes ennemies afin de délivrer un message de première importance qui permettrait d'empêcher un régiment de tomber dans un piège tendu par l'armée allemande.
Mais on se rend compte très vite que là n'est pas l'essentiel. Que les deux soldats accomplissent ou pas leur mission n'est pas vraiment important ici. Ce qui est marquant est leur découverte intime et progressive de la vraie noirceur humaine. Des supérieurs cyniques et blasés, des conditions de vie atroces dans une tranchée où il est fort compliqué de se déplacer, des chevaux morts, un cadavre encastré dans un barbelé, une tranchée piégée et infestée de rats, un avion sorti de l'enfer, une brutalisation des combattants, des coreligionnaires indifférents, des snipers, des soldats ivrognes, une hiérarchie inconsciente, une jeunesse sacrifiée et finalement une boucherie inutile... Le tout filmé en deux plans séquences magistraux, où le spectateur n'a jamais été aussi près de la mort.
Au milieu de tout ça, une femme et sa fille... soit une lueur d'espoir (et la femme avenir de l'homme?) et une leçon d'humanité dans un monde de monstres. Allégorie d'une humanité incapable de communiquer (un soldat sauvé mais agresseur, une absence de télécommunications, un exercice pathétique de l'autorité), 1917 excelle essentiellement à trois niveaux. Il parvient d'abord à transmettre tout ce qu'il faut comprendre sur la tristement célèbre guerre des tranchées de 14-18 (à projeter dans les lycées). Ensuite, il réactive, plus de soixante ans plus tard, ce qui est considéré comme la meilleure fiction sur cette guerre de position, Paths of Glory (Stanley Kubrick, 1957), en adjoignant au côté "absurdité de la guerre" de celle-ci l'idée du chaos incertain d'une réalité horrifique.
Enfin, plus un tour de force qu'un chef-d'oeuvre en soi, 1917 a surtout réussi la prouesse de condenser en deux heures la problématique fondamentale (la violence humaine) de tout un siècle.
J. N, R. H
1917 (Sam Mendes, 2019, UK, 119 min)
Cast : Dean-Charles Chapman, George MacKay, Daniel Mays, Mark Strong, Colin Firth, Benedict Cumberbatch, Andrew Scott.
- Meilleur film dramatique - Golden Globe 2018
- Meilleur réalisateur - Golden Globe 2018
- 10 nominations - Oscars 2020 (cérémonie le 9 février)
- 9 nominations - BAFTA Awards 2020 (cérémonie le 2 février)