19/10/2021
Mourir peut attendre
Une fois n'est pas coutume. Pour une fois en effet, nous avons préféré titrer notre commentaire avec le titre français plutôt que l'américain, sachant bien qu'il n'y a pas la même nuance sémantique. Mais nous avons considéré "mourir peut attendre" plus lyrique que l'imposant "no time to die", qui nous a également rappelé le titre du 20ème James Bond (Pierce Brosnan), l'immonde "Die another day" (2002) et la thématique du nucléaire nord-coréen.
Il y a presque 13 ans, nous revenions avec Quantum of Solace sur la "nouvelle" série James Bond, en mode café géopolitique, ruptures et continuité, Daniel Craig gueule cassée, etc... Nous ne serons donc pas très longs et sans doute beaucoup a déjà été dit sur la der des der de l'acteur britannique, opus dont la date de sortie fut reportée d'un an en raison du Covid. Qu'a-t-on donc retenu? La destruction du mythe du James Bond invincible avait déjà été opérée en début de série avec Casino Royale (2006) et Quantum of Solace (2008), qui ne forment au final qu'un seul épisode. C'est la poursuite du traitement chirurgical du personnage (Skyfall, Spectre) qui est en fait l'élément principal que nous retenons ici, laissant transparaître tellement d'épaisseur et de tragique que Daniel Craig, impressionnant en héros romantico-torturé, sorte de Thorgal des temps modernes, a définitivement inventé le James Bond crépusculaire, personnage qui n'a pas grand chose à envier aux westerns les plus sombres.
Le reste? Du conventionnel a-t-on entendu. Certes mais un James Bond n'a pas à innover constamment pour être considéré "bon". Les constantes demeurent, c'est ce qui en fait un James Bond et il faut tout de même noter des changements non négligeables, aussi bien au niveau du scénario (éliminer des personnages qu'on ne s'attend pas à voir partir et/ou éliminer sans fioritures les "mauvais", davantage de longueur accordée aux moments sentimentaux) que du traitement des "méchants" : plus d'épaisseur psychologique (ce sont des humains après tout) qui nous rendrait presque complaisants (Javier Bardem jadis, Rami Malek ici). L'enjeu de la menace est bien choisi également : si le thème des armes biologiques (ou chimiques) est désormais un grand classique, celui de la guerre asymétrique via les acteurs transnationaux (c.à.d les terroristes) mérite une grande attention en ce XXIème siècle marqué de plus en plus par ce type de guerres (au détriment de la guerre classique, si chère à Clausewitz).
Last but not least, un personnage féminin doit avoir un minimum de consistance pour faire tenir une histoire. Difficile d'égaler Eva Green (Casino Royale), sans doute la "meilleure" James Bond Girl de tous les temps ; mais après l'inutile Olga Kurylenko (pas la première nunuche à ce niveau-là, remarquez) et la piquante et sensuelle mais éphémère Bérénice Marlohe (Skyfall), force est de constater que Léa Seydoux a ce regard à fleur de peau tout en retenant cette tenacité dévastatrice, qui donnerait le tournis à tout homme normalement constitué. Sans être chauvins (loin de là), on notera avec délectation que les James Bond Girl made in France sont les plus nombreuses (Claudine Auger, Carole Bouquet et Sophie Marceau complètent le tableau).
Enfin, Hans Zimmer à la bande-son et Cary Fukunaga à la réalisation (on se souvient des plans et de la photographie dans la saison 1 de la série True Detective dont il est le réalisateur) complètent la réussite de ce James Bond qui clôt correctement cette saga. Des défauts (les placements de produits sont franchement agaçants), d'agréables suprises, de l'émotion, du spectacle, et même de la douceur. Voilà ce qu'il faudra retenir du 5ème volet de la saga, qui n'égale pas Skyfall mais redresse la barre après le décevant Spectre. Qu'en est-il 60 ans plus tard ? Aucune comparaison n'est véritablement pertinente entre les séries mais la question est ailleurs? La conception évoluera-t-elle de manière révolutionnaire? L'apparition d'un 007 féminin et black (Lashana Lynch) laisse entrevoir une lueur d'espoir. La suite le confirmera, ou pas.
J. N., R. H.
No time to Die (Cary Joji Fukunaga, UK, 2021, 163 min)
Cast : Daniel Craig, Léa Seydoux, Ralph Fiennes, Ben Whishaw, Rami Malek, Christoph Waltz, Lashana Lynch, Jeffrey Wright, Ana de Armas, Naomie Harris, Rory Kinnear, David Dencik.
11:41 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : james bond, daniel craig, léa seydoux, lashana lynch, jeffrey wright, cary joji fukunaga, christoph waltz, ana de armas, naomie harris, rory kinnear, david dencik, 007, ben whishaw, ralph fiennes, rami malek
25/10/2006
Spider
Patrick McGrath nous entraîne dans le monde schizophrénique de Spider. Atmosphère glauque, ambiance morbide, brouillard permanent. De quoi déranger le lecteur et le scotcher en même temps à cette descente aux enfers.
Le livre est très bien écrit, les descriptions et les métaphores sont saisissantes. Extraits :
"Elle avait une certaine beauté, mais la vie et l'alcool auraient décoloré son visage, tué la lumière de son regard ; son teint était gris et cireux, son haleine fétide."
[...] " Il sirotait sa bière avec un sourire faux, cet homme aux gestes furtifs, cette fouine aux pattes sanglantes agitées de tremblements nerveux, cet animal nuisible, rusé, aux instincts lascifs et cruels."
[...] "Soudain, la masse houleuse se retourna maladroitement sur elle-même, comme une baleine athlétique, avec des rires rauques et des grognements étouffés. La tête blonde remonta. Tournée vers la fenêtre, elle se ballotait de haut en bas en gémissant comme si elle naviguait sur une mer agitée. Le vieux lit grinçait sous elle, comme les espars et les vergues d'un galion. Les grognements qu'elle poussait ressemblaient au sifflement du vent dans le hunier. Elle continuait son mouvement de balancier, le menton levé vers le plafond ou renfoncé sur sa poitrine, ses épais bras blancs la soutenant comme des colonnes" [...]
Eloge de la schizophrénie
"Avec le temps, je mis au point mon système des deux têtes. J'utilisais le devant de mon cerveau dans mes rapports avec les autres habitants de la maison ; l'arrière quand j'étais seul. C'était là que logeait ma mère, pas devant. Je devins expert dans l'art de passer de l'avant à l'arrière et cela simplifia mon existence. Ma vraie vie se déroulait dans le compartiment arrière ; pour que tout y reste frais et vivace, il me fallait le cerveau avant comme protection, comme des tomates dans une serre. En bas, je parlais, mangeais, bougeais ; j'étais moi-même à leurs yeux. J'étais seul à savoir que ce "Je" n'était pas là, qu'ils ne voyaient que la serre. C'est derrière que j'étais, là où vivait Spider. Devant, j'étais Spider. La vie devint alors plus facile. Cela ne me gênait pas d'être un vilain garçon parce que je savais qu"il s'agissait en fait de Dennis. Quand mon père me faisait descendre à la cave à charbon, c'est Dennis qui appuyait sa tête contre la poutre et enroulait son petit doigt autour du clou rouillé. Spider, lui, était là-haut, dans sa chambre !"
Au cinéma, le roman a été adapaté en 2002 d'une main de maître par David Cronenberg (History of violence, Dead ringers, The fly, Crash, Existenz, The naked lunch...). L'excellent Ralph Fiennes y joue le rôle de Spider. Figurent également Gabriel Byrne (Miller's crossing) et Miranda Richardson.
Patrick McGrath, Spider, Gallimard, Folio n° 3772, 2002 (paru pour la première fois en 1990), 328 p. Traduit de l'anglais par Martine Skopan.
00:10 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : Patrick McGrath, Spider, David Cronenberg, Ralph Fiennes