03/05/2022
La ruse
La géniale mais méconnue Operation Mincemeat (« viande hachée »). Afin de tromper Adolf Hitler et plus précisément le haut commandement de l’armée allemande (l’OKW) à un moment où la Seconde Guerre mondiale a déjà entamé son tournant (Midway, juin 1942 ; El Alamein, octobre 1942 ; Stalingrad, février 1943), les services de renseignements britanniques décident de faire croire à un débarquement allié dans les Balkans afin d’entraîner un transfert des troupes allemandes de Sicile (où aura finalement lieu le débarquement allié le 10 juillet 1943 – Opération Husky) vers la Grèce.
L’épisode le plus invraisemblable de l’espionnage britannique deviendra du coup l’opération la plus fascinante puisque réussie malgré sa haute improbabilité dès le départ, et un modèle du genre en termes de désinformation en temps de guerre (devenue une banalité de nos jours mais de manière beaucoup plus flagrante).
Histoire d’espionnage et de Seconde Guerre mondiale (une période sombre qui ne se tarit jamais au cinéma), ce thriller d’espionnage à l’ancienne a le premier mérite de proposer un suspense chirurgical sans être nerveux (la règle habituelle). Tout en finesse, la mise en scène, dotée d’un casting royal (magnifiques Colon Firth, Matthew MacFadyen, Kelly Macdonald) dégage plein d’intelligence émotionnelle. Celle d’êtres sensibles qui ont fait l’Histoire mais dont les livres d’Histoire ne parleront jamais.
Au passage, on pourra regretter quelques longueurs, trop de dialogues et un manque de rythme. Mais qu’importe, la dimension multiforme du film (un bel hommage implicite au maître Ian Flemming) en font un récit captivant et humaniste. Celui d’abord (et paradoxalement) d’un héros qui n’a jamais existé et in fine celui de ceux qui n’agissent qu’avec leur conscience et ne demandent rien en retour.
J. N. / R. H.
Operation Mincemeat (John Madden, USA/UK, 2022, 128 min)
Cast : Colin Firth, Matthew, MacFadyen, Kelly MacDonald, Rufus Wright, Mark Gatiss, Jason Isaacs.
09/01/2020
A Good American
On apprend ici que le travail de William Binney à la NSA (où il a travaillé durant 30 ans) aurait pu faire éviter les attentats du 11 septembre 2001 mais qu'il fut court-circuité par de hauts responsables de la célèbre agence de renseignement américaine.
Démissionnaire le 31 octobre 2001, William Binney avait en septembre 2002 (avec deux autres lanceurs d'alerte - Edward Loomis et J. Kirk Wiebe) demandé à l'inspection générale du Département américain de la Défense d'enquêter sur les activités de la NSA, celle-ci ayant "dépensé des millions et des millions" sur le projet de surveillance Trailblazer (qui s'est révélé inefficace) qui remplaça ThinThread, projet mis en place par Binney et Loomis, s'avérant plutôt efficace (Binney était parvenu à prévoir les événements en Tchécoslovaquie de 1968 et l'invasion soviétique de l'Afghanistan en 1979) et qui coûtait beaucoup moins cher.
Stoppé trois semaines avant les attentats du 11 septembre 2001, ThinThread aurait permis d'éviter le plus gros attentat terroriste survenu sur le territoire des Etats-Unis, avance le documentaire, éléments à l'appui. Cette assertion (ainsi que le travail de Binney) permet de confirmer définitivement le fait que les autorités américaines auraient pu (du?) éviter les attentats des tours jumelles de New York (et du Pentagone). Vue sous un autre angle, elle amènerait à considérer que la première puissance mondiale a délibérément laissé faire, pour quelque raison obscure, ce qui entend que cet attentat constituait une machination américaine. Mais verser, du coup, dans la théorie du complot est un pas que nous ne franchirons pas. Hormis les nombreuses raisons qui ne poussent pas à adopter cette posture (notamment la faiblesse intellectuelle de la théorie du complot), nous pourrions estimer que les croisements d'intérêts économiques et politiques qui expliquent souvent ce type de situation (l'abandon du projet ThinThread) ne mènent pas nécessairement à laisser faire un attentat de grande amplitude. Mais bien entendu, cette histoire n'aide pas (et même accentue) à résoudre les zones d'ombre entourant les attentats du 11 septembre 2001...
Critiquant durement l'administration Bush (et dans le viseur du FBI), William Binney a poursuivi durant le mandat de Barack Obama (2008-2012) sa dénonciation des activités de la NSA, affirmant que celle-ci effectuait une surveillance de masse, allant même jusqu'à témoigner que celle-ci violait délibérément la constitution des Etats-Unis. Préfiguration d'Edward Snowden, le plus célèbre des lanceurs d'alerte, Binney affirma à propos de ce dernier qu'il avait "rendu un grand service au monde entier". J N
A Good American (Friedrich Moser, Autriche, 2015, 100 min)
10:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : friedrich moser, william binney, attentats du 11 septembre 2001, nsa, thin thread, trailblazer, espionnage, etats-unis, lanceur d'alerte, edward snowden, edward loomis, j. kirk wiebe, a good american
11/06/2014
TURN
Battle for America
Ce nouveau drame signé AMC tombe à point nommé. L'excellente chaîne câblée (que nous classons en n° 2 au niveau des séries, après l’indétrônable HBO) est orpheline du cultissime Breaking Bad (terminus en 2013 après cinq saisons déroutantes) (1) et de ses deux autres séries phares, The Walking Dead et Mad Men, qui ne reprendront respectivement qu'en octobre prochain et en 2015 (2). Elle a par ailleurs perdu l'an passé Low Winter Sun (stoppée après une saison), et The Killing (stoppée puis "reprise" par Netflix pour une 4ème et ultime saison). Quant aux prochaines Knifeman et Galyntine, elles ne sont prévues que pour 2015 (3).
Par conséquent, que demander de mieux qu'une série historique sur la Guerre d'indépendance des Etats-Unis (1776-1883), avec ses personnages complexes et ses nœuds d'intrigue ? L'histoire débute à Setauket, une commune de Long Island (État de New-York), en 1776, à un moment où la Guerre d'indépendance entre Américains et troupes britanniques fait rage. Abraham Woodhull et ses compagnies vivent de plus en plus mal ce qui est vu comme du colonialisme britannique pur et dur. Ces protagonistes seront à l'origine de la création en 1778 du Culper Ring, un réseau d'espionnage sanctionné par Georges Washington en personne et chargé de récolter des informations sur les activités des troupes britanniques qui à ce moment-là occupent la ville de New-York.
Après que les deux premiers épisodes aient installés l'atmosphère et les principaux protagonistes, l'histoire se développe tranquillement, avec ses enchevêtrements d'intrigues, accompagnés comme souvent de coups de théâtres. Point de héros ici et encore moins de bons et de mauvais, mais simplement des êtres cherchant chacun sa place dans un monde en renouvellement. Décors et costumes soignés participent d'un réalisme remarquable et à l'instar de Gangs of New York (Martin Scorsese, 2002), cette série dépeint avec acuité la brutalité avec laquelle s'est construite cette Amérique moderne.
A l'instar de HBO, les séries d'AMC (Breaking bad, Hell on Wheels, The Walking Dead...etc) sont lentes. Celle-ci ne déroge pas à la règle. Vu la lenteur de l'articulation du scénario (une première saison qui pourrait être intitulée "Aux origines du premier cercle d'espions américain"), la série devrait s'étaler sur plusieurs saisons. On attend la suite avec impatience. Jihad Naoufal
TURN (AMC / 2014 / 10 épisodes de 42 min / 6 avril - 8 juin)
Créateurs : Craig Silverstein.
Cast : Jamie Bell, Daniel Henshall, Seth Numrich, Samuel Roukin, Heather Lind, Burn Gorman, JJ Field, Michael Gaston.
(1) Le spin-off Better Call Saul débutera en novembre 2014.
(2) La saison 4 de Hell on Wheels débutera pour sa part le 2 août prochain.
(3) A noter que vient de débuter le drame Halt and Catch Fire (1 épisode diffusé).
16:20 Publié dans Series | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : turn, amc, jamie bell, culper ring, etats-unis, amérique, espionnage, daniel henshall, michael gaston, heather lind, craig silverstein