27/01/2025
La fabrique du mensonge
Le premier constat en regardant ce premier film traitant de ce personnage infâme est que la tendance cinématographique est définitivement au vrai-faux biopic. Le biopic classique est révolu et on insiste désormais sur un aspect incisif du personnage. Dans The Apprentice (2024), il s'agissait, semble-t-il, de l'absence totale d'empathie chez le futur président des Etats-Unis . Chez Joseph Goebbels, il s'agit de son étonnante capacité à transformer immédiatement un obstacle en gain (n'avait-il pas affirmé à la suite de la Nuit de Cristal en 1938 - qui le fragilisait - "c'est les Juifs qui paieront"?), ou l'art de la manipulation via l'outil indémodable de la propagande. C'est ce qui lui a valu, entre autres, de rester dans le cercle intime d'Adolf Hitler (à ce propos, la série documentaire Hitler's Circle of Evil (2018) vaut le détour.
Le tristement célèbre ministre de l'information et de la propagande (1897-1945) était un homme qui a été au bout de ses principes et de ses idées, puisqu'il accompagna Hitler et le parti nazi jusqu'à la mort en jusqu'auboutiste maximaliste, quitte à sacrifier ses six enfants... Cela valait-il la peine d'en faire un film? Cela se discute et notons d'ailleurs qu'il y a très peu de long-métrages fictionnels sur les principaux dirigeants du Troisième Reich hormis Hitler bien entendu (auquel il faut ajouter Reinhard Heydrich et Albert Speer). Pourquoi donc Goebbels? Sans doute parce que son zèle effréné a grandement participé de l'effroyable machine de mort nazie. R. Hilal, JM Naoufal
Führer und Verführer (Joachim Lang, All, 2024, 130 min)
19:21 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : joseph goebbels, hitler, iiième reich, allemagne nazie, goebbels, propagande, manipulation
26/01/2025
La planète inquiète
"L'air surchauffé racornit narines et gosiers. Des hommes, des femmes luttent. Ils marchent, mécaniques, comme ces recrues de fatigue, soldats de la défaite qu'on fait tourner dans l'enceinte barbelée d'un camp disciplinaire. Ils marchent, sans savoir où les mènera tant de souffrance reniée. Sans comprendre ce qui les pousse ni connaître le but. De loin en loin, quelqu'un tombe. La horde l'absorbe en une meurtrière phagocytose. Rien ne peut la détourner. Elle a une route à ouvrir, une voie à tracer. Bien après que sera tari le flot monotone, la plaine éventrée gardera la cicatrice de son passage".
C'est ainsi que débute Christian Léourier débute cette complainte stridente d'humains impuissants face au désespoir et l'absurdité de l'existence. L'auteur du célèbre Cycle de Lanmeur (1984-1994) et du génial Hellstrid (2019) sonde ici la psychose terrienne. Un récit très sensoriel et non moins lyrique.
Christian Léourier, La planète inquiète, Hélios, 2019, 336 p.
(Ouvrage paru pour la première fois en 1979).
11:03 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : christian léourier, la planète inquiète, science-fiction, dystopie
23/12/2024
Comment le peuple juif fut inventé
"Une nation [...] est un groupe de personnes unies par une erreur commune sur leurs ancêtres et une aversion commune envers leurs voisins." Karl W. Deutsch, Le Nationalisme et ses alternatives, 1969 (cité par l'auteur p. 19). Rappelons dans ce sens que les mouvements nationaux du XIXe siècle (notamment le Printemps des peuples en 1848), nés dans ce foisonnement d'idéologies naissantes et de toutes sortes, étaient à la base quelque chose de "positif" puisqu'il s'agissait, après tout, de libérer le peuple, la "nation" de l'asservissement des empires. "L'idée nationale est devenue, avec l'aide des historiens, une idéologie optimiste par nature. De là, notamment, vient son succès" (p. 131).
Critique acerbe de la politique israélienne et plus précisément de l'historiographie de l'Etat d'Israël, sans être antisioniste pour antant (se considérant "post-sioniste"), Shlomo Sand décortique cette historiographie avec une érudition méticuleuse afin de démontrer sa nature factice et plus précisément "l'invention du peuple juif", c'est-à-dire la transformation d'un groupe religieux en groupe national et ce, afin de justifier la main-mise juive puis israélienne sur la totalité du territoire qui était palestinien à la base. Dans un style similaire, le sociologue français Etienne Copeaux avait analysé et démonté l'historiographie turque et sa fabrication de mythes - sous la houlette de Mustafa Kemal Atatürk - afin de justifier la conquête de certains espaces (l'Anatolie) et la mise en place de certaines politiques (photo ci-contre).
Après un premier chapitre réflexif sur le nationalisme où Sand brasse les grandes théories (notamment Benedict Anderson, Ernest Gellner et Eric Hobsbawm), il rappelle que toutes les histoires nationales sont inventées, valide que "c'est le nationalisme qui a créé les nations" (Gellner) et affirme que "c'est l'idéologie nationale qui a en grande partie contribué à établir les limites du domaine de la religion moderne et à en élaborer le caractère" (p. 73). Si Benedict Anderson parlait de "communautés imaginées", Shlomo Sand développe, pour sa part, le concept de "mythistoire" pour caractériser l'historiographie d'Israël. C'est ainsi que dans le chapitre 2, considérant que l'histoire nationale ne supporte pas les "trous", de même qu'elle efface les "aspérités irrégulières" (p. 151), il démontre comment les penseurs sionistes du XIXe siècle ont inventé une nation juive en se fondant sur le texte biblique... "Pour éveiller un sentiment national, c'est-à-dire une identité collective moderne, il faut une mythologie et une téléologie" (p. 152).
Sont ensuite traitées dans le chapitre 3 les questions de l'exil (prétendument déclenché par la seule destruction du Temple en l'an 70), du prosélytisme et de la conversion (forcée). La première est battue en brêche tandis que les deux secondes sont validées alors que l'historiographie officielle - afin de justifier les intentions juives sur la terre de Palestine - affirme qu'il n'y a jamais rien eu de tel. Intitulé "Lieux de silence", le chapitre 5 montre comment des communautés juives mais non-ashkénazes ont été effacées de l'histoire d'Israël car elles ne pouvaient participer au mythe et à la continuité historique. Enfin, est abordée "la distinction" et son corrolaire, la "politique identitaire en Israël", ou le fameux "nous" et "eux". Les autorités israéliennes ont méthodiquement et dès le départ construit un discours et des lois établissement la supériorité des Juifs ashkénazes à l'égard des Juifs sépharades et des Arabes.
L'invention de mythes par Israël n'étonne pas vraiment. Comment justifier la création illégale et illégitime de cet Etat établi par la force? Ce qui fascine et entraîne l'admiration est l'analyse ultra-pointue effectuée par Shlomo Sand, dénotant une recherche dense et rigoureuse et permettant in fine d'acquérir nombreuses connaissances sur le sujet. A l'heure où Israël poursuit son génocide à Gaza, sa politique de terreur en Cisjordanie mais également son expansionnisme ailleurs (Syrie, Liban), le livre a également le don d'énerver, pas en soi mais en raison de ce qu'il raconte, puisque dans le même temps aucune nation influente n'a explicitement condamné Israël et ce dernier continue d'agir en toute impunité tandis que l'Occident, de par son acquiescement à la guerre à Gaza, montre au grand jour son abdication morale, affirme Didier Fassin dans un ouvrage édifiant, paru il y a quelques mois et analysant cette défaite morale (photo ci-contre). JM Naoufal
Shlomo Sand, Comment le peuple juif fut inventé, Flammarion, Champs essais, 2008, 606 p.
(publication originale en hébreu)
19:45 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : shlomo sand, israël, historiographie, palestine, sionisme, judaïsme, juif, conflit israélo-palestinien, national, nationalisme, discours national
14/12/2024
No other Land
Non content de commettre un génocide à Gaza, Israël poursuit sa colonisation systématique, scandaleuse et éhontée de la Cisjordanie, l'autre partie intégrante de la Palestine. Ce documentaire coup de poing montre un de ces nombreux épisodes d'expulsion de familles palestiniennes entières de leurs villages puis la destruction de ces derniers. Une raison particulière? Aucune. Mais le prétexte que l'espace deviendra une "zone militaire". Dans le registre des documentaires traitant d'exactions commises contre des groupes humains, il y en a qui font pleurer, comme S21 la machine de mort khmer rouge de Rithy Panh (2004), les deux opus époustouflants de Joshua Oppenheimer (The Act of Killing, 2012 ; The Look of Silence, 2014), ou encore l'effacement culturel des ouïghours (François Reinhardt, Chine : le drame ouïghour, 2021) et bien d'autres.
Celui-ci en fait également partie. Et j'ai été agréablement surpris de constater que dans une ville d'une part marquée par tellement d'inégalités et d'autre part très penchée à droite politiquement (et très ancrée dans une "effluve réac"), il existe un cinéma "gaucho", en l'occurence le cinéma Belmondo/Mercury, place Garibaldi, qui propose - entre autres - tous les vendredis un ciné-club pluri-mensuel, animé par l'Association Cinéma Sans Frontières, lors duquel le film en question est précédé d'une contextualisation et suivi d'un débat. J'ai noté que la présentatrice, cartes projetées à l'appui, a rappelé que le premier plan de partage de la Palestine accordait aux Palestiniens un territoire plus grand que celui prévu pour les Juifs (1937) mais la Seconde guerre mondiale est passée par là ainsi que la Shoah et les Occidentaux, "en raison de leur mauvaise conscience ont proposé lors du plan de partage de l'ONU (1947) un territoire plus grand aux Juifs" alors qu'ils étaient beaucoup moins nombreux. Notons donc le courage de dire les choses comme elles sont alors qu'affirmer aujourd'hui en France que les Occidentaux ont soutenu la création de l'Etat d'Israël par culpabilité et/ou pour se débarrasser d'un problème est devenu impossible et peut même être taxé d'antisémitisme, un mot largement galvaudé et utilisé comme arme contre toute critique émise envers l'Etat hébreu ou lorsque les Palestiniens sont défendus et/ou soutenus.
Mais recentrons-nous sur ce récit dur et poignant. Quelle est sa force essentielle ? Simplement le fait que l'histoire est vécue et racontée par une partie de l'équipe réalisatrice. Point besoin de militantisme ou d'interviews d'experts en géopolitique. Tout est là, l'horreur (les dernières séquences montrant les techniques usitées par les militaires pour contraindre les habitants à partir sont franchement consternantes) est racontée en direct par un Palestinien la supportant tous les jours, aidé par un journaliste et ami israélien. Un acte de résistance authentique et inclusif. On en sort en colère et sans voix.
JM Naoufal
No Other Land (Basel Adra, Yuval Abraham, Hamdan Ballal, Rachel Szor, Palestine/Norvège, 2024, 92 min)
- Ours d'or du meilleur documentaire - Festival de Berlin 2024
20:42 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : no other land, cisjordanie, palestine, israël, cinéma jean-paul belmondo, basel adra, yuval abraham
11/12/2024
Une école sous le choc ?
"La tendance des démocraties libérales - à commencer par la République française - à vouloir confier à l'école un nombre toujours plus important de problèmes sociaux à résoudre rencontre ici ses propres limites."
Ce livre court et précis, bien documenté, comprend trois volets. Le premier chapitre retrace l'historique des moments de confrontation entre le religieux (essentiellement l'islam) et l'école. Le second revient sur l'impact de l'assassinat de Samuel Paty sur les enseignants par biais, notammment de l'analyse de la lexicographie. Enfin, le troisième accorde une place essentielle aux témoignages des enseignants. Se voulant à la fois exposé et analyse, le livre excelle d'une part par sa précision lexicale et statistique et d'autre part par une tonalité à la fois prudente et affirmée.
Trois éléments ressortent finalement des retombées de l'assassinat abject de Samuel Paty : une faillite institutionnelle, morale et intellectuelle du système éducatif français où rectorat et chefs d'établissements ont une large responsabilité (ou le fameux "pas de vagues", titre éponyme d'un film sur l'école sorti également en 2024), une jeunesse défavorisée et issue de l'immigration en décalage total avec les valeurs de la République, et conséquence de ce second point, des enseignants qui ont de plus en plus de mal à travailler avec ces jeunes-là. Au passage, il est suggéré que l'Etat français s'enferme dans une manière de gérer le problème de l'islam à l'école qui demeure peu efficace. Est-ce à dire que la laïcité doit évoluer? Personnellement, je ne le pense pas. Le problème s'est transformé en cercle vicieux et cette dynamique semble compliquée à enrayer. Une chose est sûre. Tel qu'il est projetté par ces jeunes actuellement, l'islam n'a pas sa place dans un pays laïc comme la France et pédagogisé de la sorte par les autorités publiqués, le problème ne sera pas réglé de sitôt. "Notre ouvrage est autant une analyse d'un fait contemporain, un hommage rendu à notre collègue assassiné, qu'un constat humblement soumis à l'attention des acteurs du système éducatif".
Un ouvrage précieux que toute personne travaillant dans un établissement scolaire devrait lire. JM Naoufal
Ismaïl Ferhat, Sébastien Ledoux, Une école sous le choc? Le monde enseignant après l'assassinat de Samuel Paty, Le Bord de l'Eau, septembre 2024, 96 p.
13:43 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samuel paty, une école sous le chos?, ismaïl ferhat, sébastien ledoux, école, islamisme, islamisme en france, islamisme terroriste, pas de vagues, enseignement, monde enseignant, islam