01/03/2021
Petrograd, Shanghai
Nous avons toujours énormément apprécié Alain Badiou dont nous commentions un ouvrage il y a plus de dix ans. Le philosophe d'inspiration marxiste, considéré actuellement comme l'une des figures les plus éminentes de la philosophie française. Dans ce court essai paru dans La Fabrique que nous apprécions beaucoup également, il refait - à contre-courant des analyses classiques - à la fois une mise au point et une réflexion sur les deux révolutions majeures du XXème siècle,, la Révolution d'Octobre 1917 (Russie) et la Révolution culturelle en Chine (1966). Une analyse fine et pointue, et qui montre que malgré leurs échecs ultérieurs ces deux mouvements révolutionnaires sont plein d'enseignements "pour tous ceux qui croient en l'avenir du communisme" (quatrième de couverture). Un passage aura particulièrement retenu notre attention, lorsque l'auteur rappelle en début d'ouvrage comment les événements et plus préciséments les moments révolutionnaires et leurs protagonistes sont déformés,avec pour résultat une image péjorative associée à des processus nés à la base de mouvements intellectuels oeuvrant pour le progrès humain et la fin des inégalités socio-économiques. Brillant. J N
"Il est vrai que pour rendre possible la mort d'un événement révolutionnaire dans la mémoire des hommes, il faut en changer le réel, en faire une fable sanguinaire et sinistre. La mort d'une révolution s'obtient par une calomnie savante. En parler, en organiser le centenaire, oui! Mais à condition de d'être donné les savants moyens de conclure : plus jamais ça!
Là encore, ce fut déjà le cas de la Révolution française. Les héros de cette révolution, Robespierre, Saint-Just, Couthon, furent présentés pendant des décennies comme des tyrans, des gens aigris et ambitieux, des assassins costumés. Même Michelet, un partisan affiché de la Révolution française, a voulu faire de Robespierre une figure de dictateur. Notons au passage qu'il a fait là une invention dont il aurait dû déposer le brevet, car elle a fait fortune. Aujourd'hui, le seul mot de "dictateur" est un couperet qui remplace toute discussion. Qui sont, après Robespierre, Lénine, Mao, Castro, et même Chavez au Venezuela, ou Aristide à Haîti? Des dictateurs. La question est réglée." [...]
Alain Badiou, Petrograd, Shanghai. Les deux révolutions du XXe siècle, Paris, La Fabrique éditions, 2018, 114 p.
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23/08/2020
The Last Czars
Si le géant du streaming, Netflix, produit de très nombreuses séries moyennes (c'est ce qui arrive quand on privilégie la quantité à la qualité), force est de constater toutefois que les séries historiques produites tiennent la route, pour deux raisons essentielles : la pertinence historique du récit et le format (mini-série de quelques épisodes). En bref, c'est sérieux et court, donc efficace.
En novembre 2019, la série documentaire Greatest Events of WWII in Colour éclipsait ce qui était considéré jusque-là comme la série documentaire de référence sur la Seconde guerre mondiale, Apocalypse: la Seconde guerre mondiale (2009). Comme cette dernière, Greatest Events présentait des images d'archives coloriées mais en lieu et place d'un seul narrateur, les 10 épisodes (6 pour Apocalypse) retraçant des moments-clés du conflit le plus meurtrier étaient accompagnés d'éclairages apportés par des historiens.
Retraçant les dernières années de la dynastie des Romanov (1), du sacre de Nicolas II (1894) jusqu'à l'exécution de la famille entière à Ekaterinbourg (juillet 1918), The Last Czars (ou "la saga des Romanov") - diffusée en 2019 avant la série précédemment citée - fait encore mieux coté novateur puisqu'il s'agit d'une série de docufiction, le scénario fictif étant jalonné d'expertises apportées par des historiens britanniques, américains et russes. Adressée à un grand public, la série permet donc de cerner en 6 épisodes de 45 minutes chacun et avec plus ou moins d'acuité ce qu'était le dernier tsar de Russie (2), ce qu'était le moine guérisseur Raspoutine et quelle fut sa relation à la famille royale, et la montée du mécontentement populaire qui mènera à deux révolutions en 1917 (puis à la mise en place du premier Etat communiste au monde, sujet non traité ici). Efficace comme nous le disions.
Enfin, la famille royale a-t-elle vraiment été assassinée dans le sous-sol de la maison Ipatiev à Ekaterinbourg? Y-a-t-il eu des survivants? Au vu des réserves de certains historiens (3), la fameuse question n'est pas complètement tranchée, même si personnellement nous penchons vers l'affirmatif. Concernant cela, nous recommandons l'épisode 8 de la saison 2 de la série documentaire française L'ombre d'un doute (2011-2015), qui consacre pas moins d'une heure et demi à cette question : "Les Romanov, enquête sur la mort du tsar et de sa famille" (4).
J N
The last czars (Netflix, 3 juillet 2019) - 6 épisodes
Réalisation : Adrian McDowall, Gareth Tunley
Cast : Robert Jack, Susanna Herbert, Ben Cartwright, Oliver Dimsdale, Bernice Stegers.
(1) Celle-ci débute avec Michel 1er le 21 février 1613.
(2) Nicolas II est considéré comme le dernier tsar russe mais "techniquement", c'est son frère Michel II qui le fut, succédant à ce dernier après son abdication mais tsar durant seulement 24 heures (15-16 mars 1917).
(3) Comme par exemple l'éminent historien français (spécialiste de la Russie et de l'URSS), Marc Ferro, qui dans son ouvrage La vérité sur la tragédie des Romanov (2012), il considère, documentation à l'appui, que la tsarine et les grandes duchesses n'auraient pas été assassinées et furent exfiltrées en Allemagne.
(4) Episode diffusé pour la première fois le 30 janvier 2013 sur France 3.
14:38 Publié dans Documentaire, Series | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : the last czars, les derniers tsars, nicolas ii, netflix, romanov, révolution d'octobre, russie, ekaterinbourg
11/08/2019
La Commune et les Communards
Si cet événement très court (mars-mai 1871) et réprimé dans le sang (6000 à 7500 morts chez les insurgés durant la Semaine sanglante dont 137 exécutions sur le Mur des Fédérés) n'eut pas d'influence sur la suite des événements (pouvoir législatif dominé par les monarchistes, président pro-monarchiste en la personne d'Adolphe Thiers), il n'en demeure pas moins, dans la mémoire collective française, une grande cause, celle de la lutte pour la liberté et la justice (inspirant au passage la Révolution russe de 1917 et les Révolutionnaires de la Guerre d'Espagne de 1936-1939). Si le débat sur la Commune n'est pas terminé, on peut affirmer que celle-ci fut essentiellement une réaction patriotique, une révolution urbaine ainsi qu'une conquête par les classes populaires.
Loin des mythes, des exagérations mais aussi des minimisations, Jacques Rougerie, historien du mouvement ouvrier et spéciale de la Commune, raconte dans une première partie ("Paris insurgé. La Commune de 1871") cette aventure tragique, puis dans une seconde ("Le procès des communards") - sans doute trop longue par rapport à la partie I - instruit le procès des protagonistes (procès-verbaux à l'appui) tout en tentant de cernier l'essence de la Commune, les divergences en son sein ainsi que son rapport à la démocratie. L'ouvrage - dont l'écriture est agréable - se lit rapidement et permet de comprendre de manière globale ce que fut cette révolution avortée mais constituant une référence à de nombreux égards. J. N
Jacques Rougerie, La Commune et les Communards, Paris, Gallimard, Folio Histoire, 2018 (1978), 427 p.
12:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : commune (1871), commune, la commune et les communards, jacques rougerie, commune de paris, réaction patriotique, mur des fédérés, semaine sanglante, révolution russe, révolution d'octobre, france, paris