22/12/2021
La vérité avant-dernière
Dans les tréfonds de la terre, bien à l'étroit dans leurs abris anti-atomiques, hommes, femmes et enfants continuent à fabriquer des soldats-robots à la chaîne, contraints en cela par un quota mensuel et encouragés par la voix du dirigeant "protecteur" Talbot Yancy. Car au-dessus, la guerre fait rage et il en va du futur de l'humanité. Mais est-ce vraiment le cas? Cela fait un moment que les informations récoltées par ci par là, semblent contradictoires. Que se passe-t-il réellement à la surface? Prenant son courage à deux mains, Nicholas Saint-James décide de s'y rendre...
Notre auteur préféré, qu'on ne présente plus et dont on vient d'écouter sur France Culture un excellent podcast qui lui est consacré ("Philip K. Dick, de la mystification à la psychose : des réalités malmenées (1928-1982"), continue de nous exalter avec ses dystopies tranchantes. A ce concept typique de l'anticipation (synonyme de contre-utopie) se conjuguent ici le thème de la manipulation de l'information (propagande et manipulation des masses ne sont pas en reste non plus), 50 ans avant que désinformation et fake news ne fassent des ravages dans nos sociétés débilisées par l'infobésité et le trop-plein de micro-information, et une réflexion futuriste sur la lutte des classes, qui n'est pas sans rappeler Le pianiste déchaîné, première oeuvre du brillant Kurt Vonnegut. Cette ultime vérité qui nous balance à la figure un simulacre (encore et toujours) de manière on ne peut plus cynique et perverse (adjectifs caractérisant, in fine, les mondes hallucinés de Philip K. Dick), fait partie de ces romans dickiens se lisant d'une traite tout en restant incisifs. L'essentiel en ce qui nous concerne. J. N.
Philip K. Dick, La vérité avant-dernière, J'ai Lu, 2014 (1974), 283 p.
(publié pour la première fois sous le titre original The Penultimate Truth, 1966)
19:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philip k. dick, la vérité avant-dernière, anticipation, science-fiction, dystopie, contre-utopie, lutte des classes, manipulation des médias, manipulation de l'information, fake news, désinformation
07/04/2021
After Truth
Ou "après la vérité". Un documentaire sur les fake news vu il y a quelques mois et paru sur HBO en mars 2020. Nous avons l'habitude, dans notre enseignement de la spécialité en Première (Histoire-Géographie-Géopolitique-Science Politique) d'accompagner notre propos d'une affiche de film ou documentaire (vu bien entendu). Le chapitre "L'information à l'heure d'Internet" (Thème 4 - S'informer : un regard critique sur les sources et modes de communication) est très propice à cette pratique vu qu'il aborde dans sa section sur internet la question des lanceurs d'alerte, thème devenu à la mode à Hollywood, et le problème de la généralisation sur le web du complotisme et des fake news.
Abordant ce troisème thème, nous disions que "l'absence de contrôle et la rapidité de diffusion des informations sur les réseaux sociaux sont propices à la généralisation des fake news (information manipulée ou créée de toutes pièces, généralement avec un objectif de nuisance). Elles portent très généralement sur des sujets polémiques (politique, finance, immigration, guerre, terrorisme), touchent des millions d’internautes et sèment parfois le doute dans l’opinion publique. Tout individu maîtrisant les réseaux sociaux peut être à l’origine de fausses informations. Certains Etats en diffusent également à des fins propagandistes. La capacité des fausses nouvelles à induire en erreur entraîne une perception erronée de la vérité et, conséquemment, des jugements erronés relativement à des événements, actions et situations". L'adjonction de l'affiche du film avait pour but de faire le lien avec le paragraphe suivant :
"Face à la multiplication de fausses informations et à l’heure de la « post-vérité », des outils de décodage ont fait leur apparition. Le fact checking (procédure qui consiste à vérifier la fiabilité d’une information) s’est généralisé à partir d’initiatives journalistiques".
L'idée était de faire comprendre que nous sommes actuellement dans ce phénomène sociopolitique de "post-vérité", définie dans le manuel scolaire de manière simplifiée comme une "situation dans laquelle il est donné plus d'importance aux émotions et aux opinions qu'à la réalité des faits". Apparu selon certaines sources au début des années 2000 et selon d'autres dès 1992, ce néologisme désigne "une culture politique au sein de laquelle les leaders politiques orientent les débats vers l'émotion en usant abondamment d'éléments de langage et en ignorant (ou en faisant mine d'ignorer) les faits et la nécessité d'y soumettre leur argumentation, ceci à des fins électorales".
Le problème aujourd'hui est que cette tendance ("être dans la post-vérité") touche un large éventail de personnes alors que les réseaux sociaux (la partie de la leçon sur internet concerne précisément ces réseaux sociaux) encourage cela en raison de leur large dimension émotionnelle en ce qui concerne la diffusion d'informations (un post est souvent accompagné d'un émoji...). Bref, on espère que cette leçon aura fait réflechir nos élèves. Il est certain par ailleurs qu'il est impératif de lutter contre ce phénomène mais à l'heure où le lien social est affaibli un peu partout et sachant que les humains dans leur majorité n'ont jamais été performants en matière de discernement et de recul, la tendance ne devrait pas faiblir. Quant au documentaire, centré sur ce qu'il se passe aux Etats-Unis, il examine certaines théories du complot locales et des affaires célèbres de fake news (comme le Pizzagate), rappelant (propos de notre leçon également) que fake news et complotisme ne sont pas récents mais sont considérablement amplifiés par les nouvelles technologies de l'information et de la communication. J N
After Truth: Disinformation and the Cost of Fake News (Andrew Rossi, USA, 2020, 95 min)
20:17 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : fake news, complotisme, médias, post-vérité, after truth, hbo, lanceur d'alerte, théorie du complot, pizzagate
26/01/2020
The Great Hack
"Toutes mes interactions, l'utilisation de ma carte de crédit, mes recherches, ma position, ce que j'aime, tout est récupéré en temps réel puis associé à mon identité. Les acheteurs ont donc un accès direct à mon pouls émotionnel. Grâce à ces informations, ils se battent pour mon attention. Ils me gavent d'un flux constant de contenu conçu sur mesure pour moi et que je suis le seul à voir (...). Mes peurs, ce que j'aime, mes intérêts, mes limites et jusqu'où aller pour les franchir."
C'est avec ces mots que débute, en voix off, ce documentaire constituant une alerte concernant les dérives d'internet, et plus précisément l'utilisation à mauvais escient des données personnelles.
En mai 2018, la société de publication stratégique Cambridge Analytica (Etats-Unis) était au cœur d'un scandale mondial de vol d'informations. En effet, dans le but d'effectuer du ciblage politique favorable - en 2016 - au Brexit (Royaume-Uni) et à l'élection à la présidence américaine de Donald Trump, CA a utilisé les données personnelles de plusieurs dizaines de millions d'utilisateurs de facebook. Ces informations ont servi ensuite à influencer les intentions de vote d'électeurs indécis, via ce qu'on appelle dans la sphère internet le "targetting messaging".
Force donc est de constater que, ni plus ni moins, cet accès illégal à des informations a engendré deux véritables tremblements de terre politiques. L'affaire est d'autant plus désolante que les deux scrutins en question furent serrés (aux Etats-Unis, cela s'est joué - à peu de choses près - dans trois Etats). Le scandale Facebook-Cambridge Analytica (qu'on peut considérer comme le plus grand scandale de vols d'informations via internet) remet également à l'ordre du jour le problème de traque à grande échelle - via des systèmes électroniques hyper-sophistiqués - de données privées permettant de cerner les univers (sociaux, économiques, politiques, psychologiques...etc) des individus. Dans ce domaine-là, ce scandale constitue ainsi un second coup de tonnerre après l'Affaire Edward Snowden (2013). A l'heure où l'intensité du lien social est de plus en plus faible un peu partout et où fake news, complotisme et désinformation pullulent sur le web, cette affaire met également en exergue les dérives engendrées par le web social et plus particulièrement les réseaux sociaux.
Décryptant comment Cambridge Analytica a opéré dans le cadre des deux élections citées, le documentaire se concentre sur Britanny Kaiser, ancienne directrice au développement des affaires chez CA et lanceuse d'alerte (après qu'un premier lanceur d'alerte - Christopher Willie, également analyste chez CA - ait révélé l'affaire) et fournit les témoignages de David Carrol (professeur de design multimedia, ayant poursuivi CA en justice) et Carole Cadwalladr (journaliste d'investigation travaillant pour The Guardian et The Observer) qui - prenant le relais des lanceurs d'alerte - a révélé au grand public les activités louches du tandem Cambridge Analytica/Facebook.
Scandales financiers (notamment les tristement célèbres Panama Papers) et vols d'informations constituent désormais, à la fois, le nœud gordien et la pierre angulaire du fonctionnement politico-économique de notre planète. Triste réalité quand on sait que ces pratiques ne vont pas cesser (comment le pourraient-elles?). Dans l’œil du cyclone et en faillite, Cambridge Analytica disparaît le 2 mai 2018 mais dirigeants (dont l'ancien directeur général, Alexander Nix) et algorithmes se retrouvent dans une autre société spécialisée dans l'analyse de données (et créée par la société mère de CA...), Emerdata Limited. Sanctionné par la justice américaine, Facebook a du payer en juillet 2019 (au moment où ce documentaire était diffusé) une amende de 5 milliards de dollars, somme que le réseau social le plus populaire n'aura probablement pas de problème à refaire assez rapidement.
Engagé politiquement (et nommé comme meilleur documentaire lors de la prochaine cérémonie des BAFTA Awards), ce documentaire diffusé le 24 juillet 2019 sur Netflix constitue un plaidoyer pour une plus ample protection des données personnelles, gage d'une véritable gouvernance démocratique. Un combat vain?
J N
The Great Hack (Karim Amer, Jehane Noujaim, USA, 2019, 114 min)
01:18 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : internet, vol d'informations, facebook, alexander nix, netflix, ciblage politique, etats-unis, royaume-uni, donald trump, brexit, scandale, edward snowden, fake news, lien social, britanny kaiser, christopher willie, the guardian, the observer, emerdata limited, bafta awards, carole cadwalladr, david carrol, cambridge analytica