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24/10/2006

L'ignorance

medium_9782070306107.gifCe dernier livre en date de Milan Kundera (sorti en 2003) n'est pas son meilleur. Ca ne vaut pas par exemple L'immortalité ou L'insoutenable légèreté de l'être. Mais il y a au début un passage très intéressant, sur la notion de Nostalgie :

"Le retour, en grec, se dit nostos. Algos signifie souffrance. La nostalgie est donc la souffrance causé par le désir innasouvi de retourner. Pour cette notion fondamentale, la majorité des Européens peuvent utiliser un mot d'origine grecque (nostalgie, nostalgia) puis d'autres mots ayant leurs racines dans la langue nationale : anoranza, disent les Espagnols ; saudade disent les Portugais. Dans chaque langue, ces mots possèdent une nuance sémantique différente. Souvent, ils signifient seulement la tristesse causée par l'impossibilité de retour au pays. Mal du pays. Mal du chez-soi. Ce qui, en anglais, se dit : homesickness. Ou en allemand : Heinweh. En hollandais : heinwee. Mais c'est une réduction spatiale de cette grande notion. L'une des plus anciennes langues européennes, l'islandais, distingue bien deux termes : söknudur : nostalgie dans son sens général ; et heimfra : mal du pays. Les Tchèques, à côté du mot nostalgie pris du grec, ont pour cette notion leur propre substantif, stesk, et leur propre verbe ; la phrase d'amour tchèque la plus émouvante : styska se mi po tobe : j'ai la nostalgie de toi : je ne peux supporter la douleur de ton absence. En espagnol, anoranza vient du verbe anorar (avoir de la nostalgie) qui vient du catalan enyorar, dérivé, lui, du mot latin ignorare (ignorer).

Sous cet éclairage étymologique, la nostalgie apparaît comme la souffrance de l'ignorance. Tu es loin, et je sais pas ce que tu deviens. Mon pays est loin, et je ne sais pas ce qui s'y passe. Certaines langues ont quelques difficultés avec la nostalgie : les Français ne peuvent l'exprimer que par le substantif d'origine grecque et n'ont pas de verbe ; ils peuvent dire : je m'ennuye de toi mais le mot s'ennuyer est faible, froid, en tout cas trop léger pour un sentiment si grave. Les Allemands utilisent rarement le mot nostalgie dans sa forme grecque et préfèrent dire Sehnsucht : désir de ce qui est absent ; mais la Sehnsucht peut viser aussi bien ce qui a été que ce qui n'a jamais été (une nouvelle aventure) et elle n'implique donc pas nécessairement l'idée d'un nostos ; pour inclure dans la Sehnsucht l'obsession du retour, il faudrait ajouter un complément : Sehnsucht nach der Vergangenheit nach der verlorenen Kindheit, nach der ersten Liebe (désir du passé, de l'enfance perdue, du premier amour)."

Milan KUNDERA, L'ignorance, Folio, 2003, pp. 9-11.

19/10/2006

American psycho

medium_9782020253802.gifBret Easton Ellis est né à Los Angeles en 1964. Après des études littéraires à Bennington College, il s'installe à New York. Ses deux premiers romans, Moins que zéro, et Les lois de l'attraction ont connu un franc succès. Mais c'est son troisième roman, American psycho, "la bombe", qui l'a fait connaître du public. Ce livre, paru aux States en 1991, a fait scandale autant que la sortie de Taxi Driver (le célèbre film de Martin Scorsese) en 1976, ou celle de Clockwork Orange en 1971 (Stanley Kubrick).

Ellis a été classé, comme David Leavitt et Jay McInerney, parmi les nouveaux minimalistes. Certains le considèrent comme nihiliste, alors que lui-même se considère comme moraliste. Son éditeur Simon & Schuster lui avait versé une avance de 300.000 dollars pour écrire son livre. Mais la mise en circulation d'extraits du roman a provoqué un gros scandale. L'éditeur s'est donc retiré, ce qui a permis à la maison Vintage de saisir l'occasion et de l'éditer. Ire de l'opinion publique et des féministes, menaces de mort, ceci n'a pas empêché le livre d'être vendu à des milliers d'exemplaires aux USA. Il rencontra encore plus de succès à l'étranger, où il fut traduit dans 24 pays.

Pourquoi un tel choc ? une violence inouïe bien entendu mais c'est surtout le fait que le héros et monstre à la fois, Patrick Bateman, psychopate et tueur en série, est un exemple éclatant de réussite. Qui plus est, il demeure impunis.

Pas de commentaires sur l'ouvrage, quelques extraits : "Evelyn se tient devant le plan de travail en bois blond ; elle porte un chemisier Krizia de soie crème, une jupe de tweed rouille, Krizia aussi, et les mêmes ballerines d'Orsay que Courtney. Elle a attaché ses longs cheveux blonds en arrière, en un petit chignon  couture assez sévère, et m'accueille sans lever les yeux du plat ovale en inox de chez Wilton sur lequel elle a artistiquement disposé le sushi."

[...] "Tandis que j'embrasse et lèche son cou, elle fixe un regard passionné sur le récepteur grand écran Panasonic à télécommande et baisse le son. Je relève ma chemise Armani et pose sa main sur mon torse."

La meilleure adaptation au grand écran d'un roman de Bret Easton Ellis est assurément celle de : Les lois de l'attraction (Rules of attraction, 2001, Roger Avary). Celle de American psycho (Mary Harron, 2000, avec Christian Bale, très bon) est assez médiocre.

La bibliographie de Ellis : Moins que zéro (1985), Les lois de l'attraction (1987), American psycho (1991), The informers (1994, Zombies en français), Glamorama (1999), Luna Park (2005).

American psycho - Bret Easton Ellis. Editions du Seuil, 1985, 513 pages. Traduit de l'anglais par Alain Defossé.

Blog en anglais sur Bret Easton Ellis : http://www.notanexit.net/

 

16/09/2006

A scanner darkly

178f69a48e318277852d135ae03128e5.jpgA propos de Philip K. Dick

"A scanner darkly" est le 5ème long-métrage hollywoodien adapté de l'oeuvre de Philip K. Dick. Publié pour la première fois en 1952, celui-ci s'oriente rapidement, après des débuts classiques, vers une science-fiction plus personnelle, où se déploient un questionnement permanent de la réalité et une réflexion radicale sur la folie. On peut considérer que A scanner darkly (en français : "Substance M", disponible aux éditions Folio) est l'oeuvre la plus personnelle de Philip K. Dick. Explorateur inlassable de mondes schizophrènes, désorganisés et équivoques, il clame tout au long de ses oeuvres que la réalité n'est qu'une illusion, figée par une perception humaine imparfaite.

Philip K. Dick (1928-1982) eut une existence instable, faite de divorces multiples, de drogues, de tentatives de suicide ou de recherches mystiques. La rapidité avec laquelle sont écrites certaines de ses oeuvres (notamment Minority Report) s'explique par des consommations très fréquentes de LSD et d'amphétamines.

Avant A scanner darkly, le cultissime Blade Runner (inspiré de son roman Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques?) fut réalisé par Ridley Scott (1982, avec Harrison Ford et Sean Young). Suivit Total Recall, inspiré de sa longue nouvelle "Souvenirs à vendre" et réalisé par Paul Verhoeven (1990, avec Arnold Schwarzenegger) puis Minority Report (adapté du roman homonyme), réalisé par Steven Spielberg (2002, avec Tom Cruise et Collin Farell) et le très moyen Paycheck (2003, avec Ben Affleck, Uma Thurman et Aaron Eckart), normal c'est réalisé par John Woo.

Le premier a avoir tenté de réaliser A scanner darkly fut le "réalisateur à risques" Terry Gilliam (Brazil, The fisher king, 12 monkeys, Fear and loathing in Las Vegas). Ensuite, Georges Clooney et Steven Soderbergh se sont emparés de l'affaire, ils sont tous les deux producteurs exécutifs dans ce long-métrage, réalisé par Richard Linklater.

Lorsqu'il décède à l'âge de 54 ans, P. K. Dick est peu connu du public. Toute sa vie durant, il fut relativement pauvre, parfois même miséreux (dans un de ses articles, il décrit avec humour l'époque où sa femme et lui  étaient contraints de se nourrir avec des boîtes de chien) alors que d'autres écrivains américains de science-fiction, comme Isaac Asimov (auteur culte du cycle Fondation), Robert A. Heinlein et Franck Herbert (Dune). (Cf. la préface de Julie Péjos dans Minority Report, éditions Folio, 2002) vivaient un grand succès.

Aujourd'hui, il est considéré comme un génie de la science-fiction même s'il ne possède pas le style le plus affiné (il écrivait trop vite). Inventions multiples, décalages vertigineux et hallucinants dans la perception du futur constituent sa marque de fabrique. On considère  que sa façon de percevoir le futur était différente de celle d'autres écrivains ayant plus de succès que lui. Sa façon de percevoir le futur était différente. Au lieu  de construire ses histoires sur des concepts (comme les autres), il le faisait autour de personnages. Ceux-ci n'étaient pas des héros mais des citoyens ordinaires du futur confrontés à toutes sortes de soucis quotidiens (argent, relations, emploi...). Comme tout le monde.

Dick fut sans doute inspiré dans ses oeuvres par sa vie même : soucis financiers, 5 fois marié, grosse consommation de drogues... Normal que certaines de ses oeuvres soient assez glauques (Substance M) : beaucoup de LSD. En 1982, il vu une avant-première de Blade Runner mais décéda avant la sortie de ce dernier. Dommage qu'il soit décédé avant la sortie des autres films adaptés de son oeuvre. Celle-ci demeure immense aujourd'hui et il est désormais considéré comme un éminent auteur de science-fiction.

     

Dans A scanner Darkly de Richard Linklater, l'univers de Philip K. Dick est revisité par l'animation : aux prises de vue des acteurs sont superposées des créations infographique très sophistiquées (comme dans Waking Life, 2001, du même réalisateur) : la performance des comédiens est recréée par les procédés de l'animation. Robert Downey Jr. est énorme. A travers ce monde déglingué où se conjuguent paranoïa, schizophrénie, hallucinations et démence, confusion entre le réel et l'irréel, on peut entrevoir une certaine critique de l'Amérique d'aujourd'hui marquée par la psychose qui résulte du 11 septembre 2001 (même si l'oeuvre est antérieure), sans que le film soit tout à fait politiquement engagé. Tout le monde est suspect et chacun est coupable jusqu'à preuve du contaire.

A SCANNER DARKLY (Richard Linklater, USA, 2006, 100 mins).  Avec Keanu Reeves, Winona Ryder, Robert Downey Jr., Woody Harrelson, Rory Cochrane.