21/07/2022
Quand notre monde est devenu chrétien
Universitaire et historien spécialiste de la Rome antique, Paul Veyne retrace ici la lente mais sûre transition au christianisme de l'Empire romain aux IVe-Ve siècles. Mais contrairement à l'historiographie classique (il reproche aux historiens d'être trop habitués "à la saine methode de "mise en série" et d'avoir le "sens de la banalité, de la quotidienneté") qui voit dans la conversion de Constantin 1er (en 312) un acte politique et pragmatique, il place ce dernier au centre de tout, "héros de cette grande histoire", destiné par le Décret divin pour jouer un rôle providentiel dans l'économie millénaire du Salut", et même, "sauveur de l'humanité".
Conséquemment, la propagation du christianisme au cours du IVe siècle est analysée comme un "chef-d'oeuvre", un tour de force génial, ou si nous pouvons nous permettre cette expression, le casse du siècle. Veyne ose même un parallèle avec Lénine, considérant que la "révolution bolchevik et le "tournant" constantinien reposent l'un et l'autre sur une "rationalité" du sens de l'histoire, matérialiste pour l'un, divine pour l'autre".
L'approche est intéressante, d'autant plus qu'elle provient d'un "incroyant" qui semble d'ailleurs user d'une ironie bienveillante et subtile. Il faut toutefois maîtriser certaines dimensions du christianisme (de l'époque, notamment) afin saisir globalement les propos de cet ouvrage érudit. J. N.
Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Le Livre de Poche, 2021 (2007), 278 p.
23:07 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : paul veyne, constantin, christianisme, constantin 1er, 312, quand notre monde est devenu chrétien
22/01/2022
Le goût de l'immortalité
On a également découvert cette autrice sur le tard, lauréate ici du Grand prix de l'imaginaire (2007), du Prix Bob Morane (2006) et du Prix du lundi de la SF française (2007). La structure du roman est une longue lettre, inspirée des Mémoires d'Hadrien (1951) de Marguerite Yourcenar. Racontée par une adolescente étrange et âgée de plusieurs siècles, l'histoire se situe en Mandchourie, en l'an 2213, plus précisément dans la ville hautement technologique de Ha Rebin. Secondé par cette fille, l'entomologiste Cmatic y mène son enquête tandis qu'une pandémie décime nos sociétés déjà ravagées par une pollution endémique (thématique remise d'ailleurs à l'ordre du jour avec la pandémie de Covic-19). Cette association le ménera vers l'immortalité, ou tout simplement vers un enfer sans nom. Le texte est riche, vertigineux, complexe à souhait, l'histoire est envoutante... Hormis la structure narrative qui participe de ce renouveau de la SF française, nous avons été fascinés par cette inventivité lexicalle et par ce récit sans compromis. Brillant. J. N.
Catherine Dufour, Le goût de l'immortalité, Le Livre de Poche, 2020, 318 p.
(publié pour la première fois en 2005 aux éditions Mnémos)
12:28 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : catherine dufour, le goût de l'immortalité, science-fiction
24/12/2021
La guerre de Sécession
"Comprendre la Guerre de Sécession", aurions-nous pu appeler cet ouvrage brillant. Cette guerre civile américaine (1861-1865), la plus coûteuse en vies humaines de toute l'histoire des Etats-Unis (1) confirmait le concept de "guerre absolue", appliqué par Clausewitz aux guerres napoléoniennes (2), et préfigurait les guerres "totale" et "d'anéantissement" d'un XXème siècle horrifique (3).
Mais est-ce tout ? Comment saisir globalement les dimensions essentielles de ce drame fondateur ? C'est là qu'intervient cet éminent spécialiste de l'histoire militaire, décoré chevalier de l'Empire britannique en 2000. A la fois accessible de par son style limpide et tranchant au niveau de l'analyse, le récit aborde de nombreux thèmes (constituant pour la plupart des chapitres distincts) permettant de comprendre ce que fut cette guerre perdue d'avance pour le Sud (pour qui le conflit était "un combat de pauvres, une guerre de riches") : l'importance de la géographie du conflit, le fossé Nord-Sud, la vie des soldats, la question de l'esclavage, la psychologie des généraux, les batailles emblématiques, l'héritage sociopolitique... etc. Une référence incontournable. J. N.
John Keegan, La guerre de Sécession, Paris, Perrin, Tempus, 2020 (2011), 570 p.
(paru pour la première fois en 2009 sous le titre original The American Civil War. A Military History)
(1) Le conflit entraîne la mort de 620.000 soldats au total (360.000 pour l'Union, 260.000 pour la Confédération) tandis que les Etats-Unis perdent environ 405.000 soldats durant la Seconde Guerre mondiale (Europe et Pacifique).
(2) Dans son fameux De la guerre, traité de stratégie militaire rédigé entre 1816 et 1831.
(3) Le bilan total de décès (militaires et civils) pour la Première Guerre mondiale est de 10 millions tandis que celui de la Seconde Guerre mondiale est situé entre 60 et 80 millions.
15:52 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john keegan, guerre civile des etats-unis, guerre de sécession, esclavage, guerre industrielle
22/12/2021
La vérité avant-dernière
Dans les tréfonds de la terre, bien à l'étroit dans leurs abris anti-atomiques, hommes, femmes et enfants continuent à fabriquer des soldats-robots à la chaîne, contraints en cela par un quota mensuel et encouragés par la voix du dirigeant "protecteur" Talbot Yancy. Car au-dessus, la guerre fait rage et il en va du futur de l'humanité. Mais est-ce vraiment le cas? Cela fait un moment que les informations récoltées par ci par là, semblent contradictoires. Que se passe-t-il réellement à la surface? Prenant son courage à deux mains, Nicholas Saint-James décide de s'y rendre...
Notre auteur préféré, qu'on ne présente plus et dont on vient d'écouter sur France Culture un excellent podcast qui lui est consacré ("Philip K. Dick, de la mystification à la psychose : des réalités malmenées (1928-1982"), continue de nous exalter avec ses dystopies tranchantes. A ce concept typique de l'anticipation (synonyme de contre-utopie) se conjuguent ici le thème de la manipulation de l'information (propagande et manipulation des masses ne sont pas en reste non plus), 50 ans avant que désinformation et fake news ne fassent des ravages dans nos sociétés débilisées par l'infobésité et le trop-plein de micro-information, et une réflexion futuriste sur la lutte des classes, qui n'est pas sans rappeler Le pianiste déchaîné, première oeuvre du brillant Kurt Vonnegut. Cette ultime vérité qui nous balance à la figure un simulacre (encore et toujours) de manière on ne peut plus cynique et perverse (adjectifs caractérisant, in fine, les mondes hallucinés de Philip K. Dick), fait partie de ces romans dickiens se lisant d'une traite tout en restant incisifs. L'essentiel en ce qui nous concerne. J. N.
Philip K. Dick, La vérité avant-dernière, J'ai Lu, 2014 (1974), 283 p.
(publié pour la première fois sous le titre original The Penultimate Truth, 1966)
19:15 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philip k. dick, la vérité avant-dernière, anticipation, science-fiction, dystopie, contre-utopie, lutte des classes, manipulation des médias, manipulation de l'information, fake news, désinformation
01/11/2021
Histoire des Etrusques
Nous étions tombés sur un article récent de Sciences et Avenir, affirmant que l'origine et l'héritage des Etrusques avait été décodé par la génétique. Cela nous a rappelé que cette civilisation avait suscité notre curiosité lorsque nous enseignions en classe de 6ème (l'ancien programme), en Histoire - la leçon sur la Rome antique. Et pour cause, autour de cette civilisation brillante, demeurent de nombreuses interrogations, notamment la langue, "isolat perdu, à l'instar du basque, au milieu du monde des idiomes indo-européens", et l'origine de ce peuple, établi au centre de l'Italie (essentiellement en Toscane, à l'ouest de l'Ombrie et au nord du Latium) depuis la fin de l'âge de Bronze (vers -900) jusqu'à -264, date d'une défaite finale contre les Romains et le début de l'unification progressive de l'Italie effectuée par ces derniers. Quant au mot Etrusque, nous l'avions découvert lorsque, gamin, nous lisions le tome 8 de la bande dessinée Alix, Le Tombeau étrusque...
Si des désaccords persistent entre historiens (et archéologues) quant aux origines de cette civilisation où la place de la femme était beaucoup plus large que chez les autres peuples (Romains, Grecs), il n'en demeure pas moins que certains éléments (notamment l'art) permettent de cerner ses contours sociopolitiques. C'est ce que propose cet ouvrage synthétique, écrit par Jean-Marc Irollo (1956-2020), historien de l'art qui fut également directeur-adjoint des ressources humaines au Musée du Louvre. Six chapitres thématiques (société, religion, art...etc.) abordent de manière condensée ce peuple "énigmatique". Une excellente synthèse quand on désire mieux maîtriser une question historique et que l'on a pas le temps de lire un gros pavé. Efficace et instructif.
Quant à l'article que nous évoquions précédemment, il explique qu'une étude génomique récente a montré que "les populations étrusques de l'Italie centrale étaient bien d'origine autochtone et formaient un groupe génétique homogène". Sauf qu'une autre équipe de chercheurs mettait en avant, en 2017, une possible origine proche-orientale des Etrusques. Mystère toujours non-résolu. J. N.
Jean-Marc Irollo, Histoire des Etrusques. L'antique civilisation toscane VIIIe-Ier siècle av. J.-C., Perrin, Tempus, 2010 (2004), 212 p.
09:00 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : etrurie, etrusques, italie, lombardie, toscane, jean-marc irollo, civilisation étrusque, rome, rome antique, ombrie, latium, histoire des etrusques