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26/07/2022

RAF

71C2EM3274L.jpgLa RAF (Rotte Armee Fraktion), également surnommée « bande à Baader » ou « groupe Baader-Meinhof », symbole ouest-allemand le plus célèbre de la guérilla urbaine d’extrême-gauche des années 1970...

Issue du mouvement étudiant de 1967-1968 et s’attaquant au système impérialiste, la RAF a largement participé de ce qu’on appellera en Europe les « années de plomb » (chrononyme inspiré du titre éponyme du film réalisé par Margarethe von Trotta en 1981), période marquée par les bouillonnements idéologiques, la violence politique et le terrorisme. Les pendants de la RAF étaient (pour ne citer que ceux-là) les Brigades Rouges en Italie, Action directe en France, GRAPO en Espagne, 17N en Grèce et l’Armée rouge japonaise au Japon.

Transposition de la thèse de Doctorat d’Anne Steiner (1985), l’ouvrage retrace la période essentielle d’activisme du groupe (1968-1977), contée également par le film d’Uli Edel en 2008 (Der Baader-Meinhof Komplex). Hormis le fait que c’est un des rares ouvrages écrits en français qui retrace globalement la genèse, le parcours et le fonctionnement de ce groupuscule et son "irréductible singularité", c’est la place accordée à la lecture des textes produits par ses membres qui permettent à la fois de comprendre son combat, sa philosophie et son pouvoir de séduction.

A ce titre, le passage suivant (préface, p. 9) est édifiant :

« Les militants affirment leur volonté de s’inscrire dans une synergie d’actions avec les peuples de la « périphérie » en lutte contre l’impérialisme américain en ouvrant une ligne de front à l’intérieur des « métropoles ». Et ils y développent une théorie du sujet révolutionnaire qui ne s’incarne plus dans une classe qui aurait une mission historique à remplir mais qui se confond avec l’individu combattant ce système les armes à la main, sans faux-semblant, sans possibilité de retour en arrière. »

Anne Steiner, Loïc Debray, RAF. Guérilla urbaine en Europe occidentale, L’Echappée Poche, 2021 (1987), 237 p.

21/07/2022

Quand notre monde est devenu chrétien

download.jpgUniversitaire et historien spécialiste de la Rome antique, Paul Veyne retrace ici la lente mais sûre transition au christianisme de l'Empire romain aux IVe-Ve siècles. Mais contrairement à l'historiographie classique (il reproche aux historiens d'être trop habitués "à la saine methode de "mise en série" et d'avoir le "sens de la banalité, de la quotidienneté") qui voit dans la conversion de Constantin 1er (en 312) un acte politique et pragmatique, il place ce dernier au centre de tout, "héros de cette grande histoire", destiné par le Décret divin pour jouer un rôle providentiel dans l'économie millénaire du Salut", et même, "sauveur de l'humanité".

Conséquemment, la propagation du christianisme au cours du IVe siècle est analysée comme un "chef-d'oeuvre", un tour de force génial, ou si nous pouvons nous permettre cette expression, le casse du siècle. Veyne ose même un parallèle avec Lénine, considérant que la "révolution bolchevik et le "tournant" constantinien reposent l'un et l'autre sur une "rationalité" du sens de l'histoire, matérialiste pour l'un, divine pour l'autre".

L'approche est intéressante, d'autant plus qu'elle provient d'un "incroyant" qui semble d'ailleurs user d'une ironie bienveillante et subtile. Il faut toutefois maîtriser certaines dimensions du christianisme (de l'époque, notamment) afin saisir globalement les propos de cet ouvrage érudit. J. N.

Paul Veyne, Quand notre monde est devenu chrétien (312-394), Le Livre de Poche, 2021 (2007), 278 p.

 

22/01/2022

Le goût de l'immortalité

catherine dufour,le goût de l'immortalité,science-fictionOn a également découvert cette autrice sur le tard, lauréate ici du Grand prix de l'imaginaire (2007), du Prix Bob Morane (2006) et du Prix du lundi de la SF française (2007). La structure du roman est une longue lettre, inspirée des Mémoires d'Hadrien (1951) de Marguerite Yourcenar. Racontée par une adolescente étrange et âgée de plusieurs siècles, l'histoire se situe en Mandchourie, en l'an 2213, plus précisément dans la ville hautement technologique de Ha Rebin. Secondé par cette fille, l'entomologiste Cmatic y mène son enquête tandis qu'une pandémie décime nos sociétés déjà ravagées par une pollution endémique (thématique remise d'ailleurs à l'ordre du jour avec la pandémie de Covic-19). Cette association le ménera vers l'immortalité, ou tout simplement vers un enfer sans nom. Le texte est riche, vertigineux, complexe à souhait, l'histoire est envoutante... Hormis la structure narrative qui participe de ce renouveau de la SF française, nous avons été fascinés par cette inventivité lexicalle et par ce récit sans compromis. Brillant. J. N.

Catherine Dufour, Le goût de l'immortalité, Le Livre de Poche, 2020, 318 p.

(publié pour la première fois en 2005 aux éditions Mnémos)

24/12/2021

La guerre de Sécession

john keegan,guerre civile des etats-unis,guerre de sécession,esclavage,guerre industrielle"Comprendre la Guerre de Sécession", aurions-nous pu appeler cet ouvrage brillant. Cette guerre civile américaine (1861-1865), la plus coûteuse en vies humaines de toute l'histoire des Etats-Unis (1) confirmait le concept de "guerre absolue", appliqué par Clausewitz aux guerres napoléoniennes (2), et préfigurait les guerres "totale" et "d'anéantissement" d'un XXème siècle horrifique (3).

Mais est-ce tout ? Comment saisir globalement les dimensions essentielles de ce drame fondateur ? C'est là qu'intervient cet éminent spécialiste de l'histoire militaire, décoré chevalier de l'Empire britannique en 2000. A la fois accessible de par son style limpide et tranchant au niveau de l'analyse, le récit aborde de nombreux thèmes (constituant pour la plupart des chapitres distincts) permettant de comprendre ce que fut cette guerre perdue d'avance pour le Sud (pour qui le conflit était "un combat de pauvres, une guerre de riches") : l'importance de la géographie du conflit, le fossé Nord-Sud, la vie des soldats, la question de l'esclavage, la psychologie des généraux, les batailles emblématiques, l'héritage sociopolitique... etc. Une référence incontournable. J. N.

John Keegan, La guerre de Sécession, Paris, Perrin, Tempus, 2020 (2011), 570 p.

(paru pour la première fois en 2009 sous le titre original The American Civil War. A Military History)

 

(1) Le conflit entraîne la mort de 620.000 soldats au total (360.000 pour l'Union, 260.000 pour la Confédération) tandis que les Etats-Unis perdent environ 405.000 soldats durant la Seconde Guerre mondiale (Europe et Pacifique).

(2) Dans son fameux De la guerre, traité de stratégie militaire rédigé entre 1816 et 1831.

(3) Le bilan total de décès (militaires et civils) pour la Première Guerre mondiale est de 10 millions tandis que celui de la Seconde Guerre mondiale est situé entre 60 et 80 millions.

22/12/2021

La vérité avant-dernière

philip k. dick,la vérité avant-dernière,anticipation,science-fiction,dystopie,contre-utopie,lutte des classes,manipulation des médias,manipulation de l'information,fake news,désinformationDans les tréfonds de la terre, bien à l'étroit dans leurs abris anti-atomiques, hommes, femmes et enfants continuent à fabriquer des soldats-robots à la chaîne, contraints en cela par un quota mensuel et encouragés par la voix du dirigeant "protecteur" Talbot Yancy. Car au-dessus, la guerre fait rage et il en va du futur de l'humanité. Mais est-ce vraiment le cas? Cela fait un moment que les informations récoltées par ci par là, semblent contradictoires. Que se passe-t-il réellement à la surface? Prenant son courage à deux mains, Nicholas Saint-James décide de s'y rendre...

Notre auteur préféré, qu'on ne présente plus et dont on vient d'écouter sur France Culture un excellent podcast qui lui est consacré ("Philip K. Dick, de la mystification à la psychose : des réalités malmenées (1928-1982"), continue de nous exalter avec ses dystopies tranchantes. A ce concept typique de l'anticipation (synonyme de contre-utopie) se conjuguent ici le thème de la manipulation de l'information (propagande et manipulation des masses ne sont pas en reste non plus), 50 ans avant que désinformation et fake news ne fassent des ravages dans nos sociétés débilisées par l'infobésité et le trop-plein de micro-information, et une réflexion futuriste sur la lutte des classes, qui n'est pas sans rappeler Le pianiste déchaîné, première oeuvre du brillant Kurt Vonnegut. Cette ultime vérité qui nous balance à la figure un simulacre (encore et toujours) de manière on ne peut plus cynique et perverse (adjectifs caractérisant, in fine, les mondes hallucinés de Philip K. Dick), fait partie de ces romans dickiens se lisant d'une traite tout en restant incisifs. L'essentiel en ce qui nous concerne. J. N.

 

Philip K. Dick, La vérité avant-dernière, J'ai Lu, 2014 (1974), 283 p.

(publié pour la première fois sous le titre original The Penultimate Truth, 1966)