11/07/2018
Ubik
"Ubik est un vertige contagieux. On lit Ubik, et on devient bizarre. Le réel se dissout, l'imaginaire se répand partout, le monde se fait cosa mentale, c'est éprouvant et c'est ineffaçable. [...] Il serait pâlot de préciser que c'est un chef-d'oeuvre."
Evelyne Pieiller, Le Magazine littéraire
S'il faut lire un seul roman de Philip K. Dick (que nous avons lu à la plage), c'est bien celui-là... Sans doute, tout a été déjà dit... Dick y dépeint une société en dépérissement accéléré, victime de son ultra-consumérisme et dominée par une technologie omniprésente. Paranoïa permanente, bataille entre télépathes, mondes parallèles, réalité vs illusion, dose de mysticisme... Tous les thèmes chers à l'auteur se retrouvent dans ce roman cultissime. En 2005, le magazine américain Time le classait parmi les 100 romans les mieux écrits en anglais depuis 1923. Complexe, prenant (voire absorbant), déroutant, c'est un roman dont on ne sort indemne, si on s'intéresse à cette SF très personnelle. Le critique de Time, Lev Grossman a affirmé à propos du livre que c'est "une histoire d'horreur existentielle profondément troublante, un cauchemar dont vous ne serez jamais sûr de vous être réveillé". J. N
Philip K. Dick, Ubik, Paris, 10/18, 2014, 285 p.
(publié pour la première fois en 1969)
13:44 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philip k. dick, ubik, mondes parallèles, réalité vs illusion, time, evelyne pieiller, science-fiction
25/06/2018
Les pantins cosmiques
En vacances avec sa femme, Ted Barton se rend à Millgate, la petite ville où il a grandi jusqu'à l'âge de 9 ans. Stupeur quand ils se rendent sur les lieux. Tout a changé : noms des commerces et des rues, emplacement des bâtiments...etc. Le pire pour Ted est que personne ne se souvient de son existence à Millgate. Laissant sa femme dans un hôtel d'une ville voisine, il tente de percer le mystère de Millgate à l'aide de William Christopher, un riverain âgé et qui comme Ted semble se souvenir de l'ancienne Millgate...
Publié pour la première fois en 1957 par Ace books (la plus ancienne maison d'édition de Science-fiction et Fantasy, fondée en 1952), ce roman correspond à la première période d'écriture de Philip K. Dick et par conséquent "ne restera pas dans les annales". En effet, le récit court, linéaire et finalement peu prenant, se lit très vite et ressemble plus à un essai. On comprend d'après l'histoire (où l'épilogue n'a, bien entendu, aucune importance) que le récit préfigure le thème (réalité / illusion ; mondes parallèles) qui fera la notoriété de celui qui ne vécut pas assez longtemps pour réaliser à quel point son oeuvre est considérée cultissime. J. N
Philip K. Dick, Les pantins cosmiques, Paris, J'ai Lu, 2013 (1984), 188 p.
Paru pour la première fois en 1957 sous le titre original The Cosmic Puppets.
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23/05/2018
Introduction à Antonio Gramsci
"Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner pendant vingt ans"
Michele Isgro, procureur fasciste, lors de la condamnation de Gramsci, le 4 juin 1928.
Fondateur en 1921 du Parti communiste italien, Antonio Gramsci (1891-1937) n'a pas produit de théorie propre mais ses réflexions (écrites en code durant ses années passées en prison) ont été des sources d'influence (encore d'actualité) pour la théorie politique et économique, pour la philosophique et inspirèrent de même l'approche néo-marxiste des relations internationales.
On lui doit notamment le concept d'"hégémonie culturelle". Gramsci s'était posé une question essentielle : pourquoi n'y-a-t-il pas de révolution communiste en Europe occidentale (comme en Russie) ? Ce fait signifie qu'il y a un défaut dans l'analyse marxiste et pour répondre à cela, Gramsci utilise le concept d'"hégémonie culturelle". Sa conception de la puissance est inspirée de celle de Machiavel : un mélange de coercition et de consentement. Pour comprendre comment l'ordre traditionnel (capitaliste) s'est maintenu, les penseurs marxistes se sont exclusivement concentrés sur les capacités et pratiques coercitives de l'Etat (décrit par Engels comme une machine d'oppression d'une classe par une autre). Ce serait donc la peur de la coercition qui a maintenu les classes exploitées dans une situation d'oppression et qui les a empêchés de se révolter.
Selon Gramsci, la coercition a certes joué un rôle mais le consentement également. Celui-ci est créé et recréé par l'hégémonie de la couche sociale dominante. C'est cette hégémonie qui permet aux valeurs des classes dominantes de se répandre et se greffer au sein des couches sociales dominées. Cela se fait à travers les institutions de la société civile (médias, Eglise...etc.).
Gramsci utilisa le terme "bloc historique" pour décrire les relations réciproques et se renforçant mutuellement, entre la sphère socio-économique (base) et les pratiques politique et culturelle (superstructure) qui forment ensemble un ordre. C'est l'interaction entre les relations économiques et la politique et les idées qui est importante.
En prison - où il décèdera - Gramsci avait écrit en code. Ses écrits sont donc fragmentaires et sujets à différentes interprétations. C'est ainsi qu'il est bien de le lire directement (lire par exemple "Guerre de mouvement et guerre de position - Textes choisis et présentés par Ramzig Keucheyan - La Fabrique, 2011) mais de lire également cet ouvrage où les deux auteurs nous expliquent en 5 chapitres (de manière très claire et accessible) les concepts-clé que cet auteur culte a développés. Un ouvrage précieux. J. N
George Hoare, Nathan Sperber, Introduction à Antonio Gramsci, Paris, La Découverte, Repères, 2013, 125 p.
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15/05/2018
Je suis vivant et vous êtes morts
"L'écriture d'Emmanuel Carrère est extraordinairement hypnotique tout en paraissant simple. Il possède cet art de rendre intéressant, vital, symbolique chaque destin qu'il décide de raconter." Le Figaro
Nous avons finalement attendu de lire 25 romans (et nombreuses nouvelles) de Philip K. Dick, notre auteur fétiche, avant de s'attaquer à cette biographie de l'auteur décédé en 1984 réalisée par Emmanuel Carrère. Ce dernier dont nous apprécions énormément le style d'écriture - que nous avons découvert dans Limonov - mêle intimement biographie romancée de la vie de Philip K. Dick (Carrère réussit intelligemment à découper la vie de Philip K. Dick en périodes spécifiques) et l'oeuvre de ce dernier, commentée abondamment. Parmi les œuvres abordées, citons celles-ci : Ubik, Le maître du haut château, Le dieu venu du Centaure, Au bout du labyrinthe, Substance mort, Glissement de temps sur Mars, Les clans de la lune alphane (rien que ça). Un tour de force brillamment réussi. J. N, N. A.
Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts, Eidtions du Seuil, Points, 2015 (1993), 411 p.
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05/05/2018
De la résistance à la guerre civile en Grèce
Diplômée de Sciences Po, agrégée, et spécialiste de la Résistance grecque (Seconde guerre mondiale), Joëlle Fontaine, fait bien de retracer les jalonnements politiques survenues en Grèce durant la période 1941-1946, période méconnue du grand public. Elle y explique comment la Résistance grecque (1), l'une des plus actives et efficaces de l'Europe occupée par les nazis, fut systématiquement court-circuitée par les Anglais (on ne percevra plus jamais Winston Churchill de la même manière) en pleine résistance à l'occupant allemand, avant d'être définitivement massacrée vers la fin de la guerre par ces mêmes Anglais travaillant main dans la main avec les collaborateurs.
Cette période, racontée de manière on ne peut plus claire et s'appuyant sur une documentation très solide, est le prélude de la guerre civile qui dura du 12 février 1946 au 16 octobre 1949 et qui opposa le Parti communiste de Grèce (appuyé par l'URSS et la Yougoslavie) au Royaume de Grèce (2), soutenu fort logiquement par les Etats-Unis et le Royaume-Uni, désireux coûte que coûte d'éradiquer la "menace communiste" dans un contexte de début de Guerre froide et du bipolarité du monde (3).
Comprendre l'état politique et économique de la Grèce d'aujourd'hui mais également la période de la dictature des colonels (1967-1974) passe nécessairement par appréhender cette période critique qui annonce que la Grèce sera maintenue "dans le statut de pays dominé qui est le sien depuis sa création, avec la complicité de ses gouvernements successifs" (p. 360). Un ouvrage précieux.
Extraits
"On ne peut comprendre ce qu'est la Grèce actuelle en ignorant toutes ces années de guerre et de dictature qui ont laissé des traces profondes. Elles expliquent en partie le maintien jusqu'à aujourd'hui d'une armée surdimensionnée par rapport à ce petit pays. Elles ont retardé la modernisation des structures économiques et sociales qui s'est faite dans la plupart des pays européens après la guerre. Elles ont au contraire permis le maintien en place d'élites parasites, complices de la domination des grandes puissances, entretenant la corruption et le clientélisme à l'origine du gonflement de la fonction publique. [...]
La tutelle financière et politique actuellement imposée à la Grèce par l'Union européenne et le Fonds monétaire international, le scandale déclenché en novembre 2011 par la timide tentative du premier ministre grec pour consulter le peuple et "l'invitation" humiliante à y renoncer qui s'en est suivie - tout cela rappelle que la Grèce ne dispose que d'une souveraineté très limitée, comme elle en a fait maintes fois la douloureuse expérience au cours de son histoire."
J. N
Joëlle Fontaine, De la résistance à la guerre civile en Grèce. 1941-1946, Paris, La Fabrique, 2012, 373 p.
(1) Le Front de libération nationale (ELAM) et sa branche armée, l'Armée populaire de libération nationale grecque (ELAS) constituaient le principal mouvement de résistance à l'occupation nazie. Ils étaient contrôlés par le Parti communiste de Grèce (KKE).
(2) La Grèce fut politiquement un Royaume durant trois périodes : 1832-1924, 1935-1941 et 1944-1973. Le retour en Grèce du roi Georges II en septembre 1946 est assuré par les Anglais.
(3) C'est le 5 mars 1946 que Winston Churchill popularise l'expression "rideau de fer", désignant une Europe divisée en deux blocs politiques et idéologiques antagonistes.
12:58 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : de la résistance à la guerre civile en grèce. 1941-1946, joëlle fontaine, grèce, communisme, seconde guerre mondiale, guerre civile grecque, goerges ii, winston churchill