20/08/2018
La Corée du Nord à bicyclette
Contrairement à ce que pourrait laisser entendre le titre, il ne s'agit pas d'un road trip à bicyclette en Corée du Nord. Ancien diplomatique britannique, John Everard a été ambassadeur dans ce pays de 2006 à 2008. Désirant aller au-delà des "on dit" et des fantasmes et clichés qui circulent sur cet Etat autoritaire et déviant, Everard ne s'est pas contenté de jouer son rôle d'ambassadeur. Il a beaucoup bougé, parlé à beaucoup de monde (ce qui est assez rare pour un étranger en Corée du Nord). C'est ainsi qu'il a systématiquement confronté ce qu'il a vu et ce qu'il a entendu, parlant toujours (et c'est un plus qui montre qu'il n'y a pas ici de tentative de propagande - dans un sens comme dans un autre), avec beaucoup de prudence. Et c'est ce qui l'honore car il a bien saisi que tout portrait dressé d'un pays ne peut être que subjectif. Hormis le fait que le portrait dressé est très global (géopolitique, rapport au monde, accès des habitants à la nourriture et à l'électricité...etc), le livre est divisé en parties et chapitres indépendants les uns des autres (société, régime, économie, étrangers en Corée du Nord...etc.), ce qui permet au lecteur de passer à telle ou telle rubrique sans problème. A l'heure où la Corée du Nord de Kim Jung-un fait à nouveau parler d'elle (esquisse de rapprochement avec la Corée du Sud, rencontre au sommet avec Donald Trump), lire cet ouvrage est précieux pour ceux qui s'intéressent à un pays que finalement, on ne connaît que très peu. J. N
John Everard, La Corée du Nord à bicyclette. Un diplomate à Pyongyang, Fuveau, Decrescenzo éditeurs, 2018, 317 p.
10:36 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : decrescenzo éditeurs, corée du nord, john everard
14/08/2018
L'Instinct de mort
Emprisonné une unième fois durant les années 1970 après avoir enchaîné cambriolages, braquages et évasions, Jacques Mesrine, le Jesse James français avait écrit son autobiographie en prison. Celle-ci correspond d'ailleurs au premier volet du biopic réalisé en 2008 par Jean-François Richet (1). Se lisant (très) rapidement (c'est typiquement de la littérature), le livre est une succession chronologique de crimes et d'évasions effectuées par celui qu'on appelait "le Grand". S'il y a quelque chose que avons retenu de tout cela c'est 1) faire de la prison est nullement rédempteur ; 2) les activités illicites de Mesrine (soit le goût du risque et de l'adrénaline) étaient devenues une drogue, une obsession irréversible. J. N
"(...) L'homme qui franchit les portes d'une prison en reste marqué à vie quoi qu'il fasse sur le chemin de la réinsertion sociale. La société est vindicative... Un ex-condamné ne sera jamais quitte de sa dette, même après l'avoir payée... On lui imposera l'interdiction de séjour, on lui refusera le droit de vote, mais on le fera payer ses impôts et on le mobilisera si une guerre se produit. On lui reconnaîtra le droit de payer et de mourir pour son pays... mais pas celui de choisir le genre de société dans laquelle il veut vivre. Châtré de ses droits civiques, il restera toujours un "ex-taulard". L'homme à qui on refuse le droit de décision n'est qu'une moitié d'homme. Il se soumettra ou se révoltera."
Jacques Mesrine, L'Instinct de mort, Flammarion, Pocket, 2009, 472 p.
(1) Deux volets de 2 heures chacun : 1.L"Instinct de mort ; 2.L'ennemi public numéro 1.
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07/08/2018
Les joueurs de Titan
Dans un monde dépeuplé, après qu'un virus ait éradiqué la majorité de la population de la planète, les habitants sont tous quasiment stériles mais également immortels... Ces humains partagent la Terre avec une race extraterrestre, les Vugs. Ces derniers ont mis en place le Jeu, sorte de poker ultramoderne, vous permettant de posséder des régions entières ou de perdre votre femme. L'histoire n'est pas sans rappeler le premier roman de Philip K. Dick, Loterie solaire (1955), dans lequel une loterie géante vous permettait de devenir le Meneur de jeu, c'est-à-dire gouverner le monde.
Le point commun entre ces deux romans est l'imagination par Dick d'une société d'une part bâtie sur le divertissement, ou ce que Guy Debord avait appelé "La société du spectacle", et d'autre part qui proscrit les sentiments et a pour mots d'ordre cynisme et pragmatisme. Comme Loterie solaire, ce polar futuriste se lit d'une traite, et questionne au passage les thèmes de la télépathie et de l'usage de drogues chimiques. Surtout, de par les petites touches futuristes qui apparaissent en filigrane (des ascenseurs et des voitures qui parlent, des voitures volantes, des distances géographiques qui ne signifient plus vraiment grand chose), ce roman plus ou moins dystopique nous rappelle que le futur c'est déjà demain. J. N
Philip K. Dick, Les joueurs de Titan, J'ai Lu, 2014, 255 p.
Paru pour la première fois en 1963 sous le titre original The Game Players of Titan.
11:58 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philip k. dick, les joueurs de titan, science-fiction, loterie solaire
28/07/2018
La peur des barbares
"Dans le monde d'aujourd'hui et de demain, les rencontres entre personnes et communautés appartenant à des cultures différentes sont destinées à devenir de plus en plus fréquentes ; leurs participants sont les seuls à pouvoir empêcher qu'elles se transforment en autant de conflits. Avec les moyens de destruction dont nous disposons actuellement, leur embrasement pourrait mettre en danger la survie de l'espèce humaine. C'est pourquoi il est nécessaire de tout faire pour l'éviter. Telle est la raison d'être du présent livre". (1)
Pour ce faire, l'éminent historien, philosophe, sociologue et essayiste Tzvetan Todorov (1939-2017) nous éclaire sur plusieurs thèmes qui constituent les chapitres de son essai : 1.Barbarie et civilisation ; 2.Les identités collectives ; 3.La guerre des mondes ; 4.Naviguer entre les écueils (évocation de plusieurs cas particuliers de conflits intérieurs aux sociétés européennes ; 5.L'identité européenne. A travers ces notions, l'auteur a voulu "échapper aux approximations et aux amalgames, aux manichéismes et à la désignation de boucs émissaires, ainsi qu'à la posture avantageuse de redresseur de torts" (2).
Car c'est bien là le problème de la plupart des humains : une vision manichéenne du monde et une incapacité à faire du discernement... Dix ans après sa parution, cet ouvrage demeure d'actualité (humiliations subies par des pays de la part de grandes puissances politiques, guerres civiles et régionales, Etat islamique...etc.). Il a également le grand avantage d'être accessible (de par son écriture claire et agréable) à un large public. Une réflexion incisive qui nous permet d'aborder de manière globale et objective les enjeux du monde actuel. J. N
Tzvetan Todorov, La peur des barbares. Au-delà du choc des civilisations, Paris, Robert Laffont, 2008, 312 p.
(1) p. 24.
(2) p. 26.
12:17 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tzvetan todorov, la peur des barbares, civilisation, barbarie, islamisme, islamophobie, identités collectives
25/07/2018
Le bal des schizos
Une fois le roman terminé, la première constatation est que le titre n'a (presque) rien à voir avec le contenu. Ça arrive souvent, surtout chez Philip K. Dick (vu la bizarrerie de certains de ses titres de romans) mais là c'est vraiment trompeur. Là où on s'attendait à un trip de schizophrénie, il s'agissait en fait de quelque chose d'ostensiblement différent. Dans une Amérique dystopique (une fois n'est pas coutume), toute manifestation chez les humains de dépression ou de trouble mental est scrutée par les autorités et vaut à la personne en question d'être internée dans un centre rigoureusement contrôlé par le Bureau Fédéral de Santé Mentale. Le principal protagoniste, Louis Rosen, personnage en rupture de ban (c'est souvent le cas chez Philip K. Dick), voit son monde basculer le jour où il rencontre Pris, schizophrène qui vient d'être libérée par le système. Avec son père, celle-ci fabrique des automates plus vrais que nature. Après Edwin Stanton, héros de la guerre de Sécession, ces derniers s'attaquent ni plus ni moins à Abraham Lincoln. Alors qu'il semble y avoir une absence totale de sentiments chez Pris, les automates en question semblent plus humains que les humains eux-mêmes. C'est là où le titre en anglais prend tout son sens : "We can build you" (difficile en effet d'effectuer ici une traduction littérale - "nous vous façonnons" ?). Étrange monde où d'une part, les humains sont déshumanisés et les robots humanisés... C'est autour de ce thème que s'articule l'histoire (et où le titre en français n'a donc pas de sens). Un thème à deux volets qui prolonge une oeuvre comme Blade Runner (1968) et préfigure une autre, Radio Libre Albemuth (1985). J. N
Philip K. Dick, Le bal des schizos, Paris, J'ai lu, 2014, 283 p.
Paru pour la première fois en 1972 sous le titre original We can build you.
12:50 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philip k. dick, le bal des schizos, dystopie, we can build you, schizophrénie