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06/05/2015

Clarissa

clarissa.jpgNous avions découvert Stefan Zwieg il y a environ dix ans, lisant d'une seule traite Le Joueur d'échecs dans le train de nuit qui nous emmenait de Pékin à Shanghai. Court (un peu plus d'une centaine de pages) mais incisif, ce roman développait une profusion de thèmes à travers l'histoire d'un exilé autrichien rendu fou par les techniques d'enfermement et d'interrogatoire de la Gestapo. C'est justement ce régime nazi que Zweig va fuir en 1934, s'exilant d'abord à Londres, ensuite au Brésil. C'est dans ce pays qu'il se suicidera en 1942 (avec sa femme), désespéré par les atrocités de la Seconde guerre mondiale, en particulier la montée du nazisme.

Publié à titre posthume, et non achevé, Clarissa porte un regard amer mais lucide sur cette Europe du début du XXème siècle, à travers le regard d'une femme. Fille d'un officier autrichien, Clarissa rencontre en Suisse, où elle travaille, Léopold, un socialiste français. Le premier conflit mondial les sépare mais elle attend de lui un enfant... A travers ce récit poignant, Stefan Zweig nous insuffle avec acuité tout le désespoir de l'homme face à l'absurdité de la guerre. Cette guerre qui fait surtout mal aux gens ordinaires. Ce sont ces derniers qui comptent et non ceux qui font la politique. Zweig l'a si bien résumé dans ce passage qui a retenu notre attention : 

"Ce ne sont pas les morts illustres qui font la valeur d'un pays. Ce sont les gens qui y vivent. Mais certainement pas les plus grands et les plus éminents d'entre eux :  c'est à travers les anonymes qu'il se perpétue".  

J. N

 

Stefan Zweig, Clarissa, Le Livre de Poche, 2014, 235 p.

Publié pour la première fois (en allemand) en 1990.

18:48 Publié dans Livre | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : clarissa, stefan zweig

24/01/2015

Le temps des humiliés

bertrand badie,relations internationales,le temps des humiliésDans son dernier ouvrage, paru cette année, « Le temps des humiliés. Pathologie des relations internationales », Bertrand Badie opère une critique acerbe du fonctionnement des relations internationales contemporaines, affirmant que celles-ci sont façonnées par une humiliation systématique.

Qui ne se souvient pas des images montrant en 1998 l’ex-président indonésien Suharto signant, à la manière d’une reddition, le plan de rigueur imposé par le FMI ? Et derrière lui Michel Camdessus le dominant de sa stature ? Tout dans l’attitude de ce dernier semblait humiliant explique M. Badie, politologue français réputé et théoricien des relations internationales. Il estime que de tous temps l’humiliation a fait partie intégrante des relations entre Etats, et que la modernité n’y a rien changé. Bien au contraire, « le jeu de concurrence et d’individualisation qui affecte de plus en plus les rapports sociaux accélère et dramatise tous ces penchants ». Les exemples sont nombreux. A travers une première partie historique et richement documentée, l’auteur analyse divers événements conflictuels, marqués par le rabaissement de certains Etats par les grandes puissances : l’expédition punitive menée par le Royaume-Uni contre la Chine en 1840 (Guerre de l’opium), le dépeçage de l’Empire ottoman, l’intervention française au Mali…etc. « Incontestablement, l’idée s’impose et, dans sa diversité, l’humiliation devient un paramètre des relations internationales », affirme M. Badie dont l’objectif (réussi) est de montrer comment un système international génère de l’humiliation et provoque ainsi l’émergence de diplomaties réactives (les cas de l’Iran et de la Corée du nord constituent des exemples édifiants). La seconde partie du livre analyse l’humiliation dans sa forme actuelle, tandis que la troisième évalue les réactions périlleuses qu’entraîne l’humiliation. Ces trois volets ont pour but de nous faire « comprendre […] les impasses actuelles de la vie internationale, irréductibles aux catégories classiques de la science politique ».

C’est rappeler ici que M. Badie critique le système international actuel mais également les théories qui l’expliquent, en l’occurrence le courant néo-réaliste (né aux Etats-Unis), dominant, et qui considère que les intérêts des Etats et la quête de puissance sont les seuls variables explicatives des relations internationales. L’auteur martèle justement que le monde est devenu bien plus complexe depuis la fin de la Guerre froide et que la mondialisation a entraîné l’émergence d’acteurs non-étatiques qui viennent perturber le jeu international. Car si l’humiliation entraîne quatre types de diplomaties inédits de la part des Etats humiliés (revancharde ; souverainiste ; contestataire ; déviante), elle tend également à former un « anti-système » dans lequel les sociétés opprimées se rebellent (Printemps arabe) et les acteurs transnationaux ont la part du lion. La prééminence du Hezbollah au Liban et la marche apocalyptique de l’Etat islamique lui donneraient-ils raison ?S’il est trop tôt encore pour affirmer que les acteurs non-étatiques constituent un élément cardinal des relations internationales, la réflexion de M. Badie a toutefois le mérite d’ouvrir nos horizons quant à nos perceptions du système international. Celui-ci ne peut plus être vu comme une simple joute entre Etats rivaux. L’autre satisfaction concernant ce livre est qu’il est très accessible.

Autant vous aurez envie de prendre un anxiolytique après la lecture de certains ouvrages de l’auteur (La fin des territoires, 1992), tant les concepts expliqués nécessitent des connaissances préalables, autant vous lirez celui-ci sans déplaisir, tant l’explication est fluide et adressée à un large public. Fossoyeur de la dictature de la pensée, Bertrand Badie démocratise ici la compréhension des relations internationales. Et c’est une excellente nouvelle. J. N

Bertrand Badie, Le temps des humiliés. Pathologie des relations internationales, Odile Jacob, 2014, 249 p.

20/01/2015

Le temps des changements

le temps des changements,robert silverbergDans un monde qui semble être néo-retro, et plus précisément sur la planète Borthan, toute manifestation d'individualité est strictement interdite. Il est en effet proscrit de dire "Je". Pour Kinal Darrival, les choses ne sont pas figées et le temps des changements est à venir. Dans sa quête de soi, il rencontre Schweiz, un marchand venu de la Terre et fort logiquement adepte d'autres coutumes et d'une autre conception du monde. Avec Schweiz, Kinal va découvrir la drogue (clin d’œil de l'auteur à toutes sortes de substances hallucinogènes : LSD, peyotl, amphétamines...etc), subissant une "liquéfaction générale de la réalité, un effondrement des murs, une rupture des contraintes" (...). Mais surtout, cet état second va lui permettre d'ouvrir son esprit, casser les tabous, prélude à "sa" révolution. 

Réquisitoire contre la dictature de la pensée et des traditions, oeuvre introspective (1) mais également messianique, Le temps des changements est un autre tour de force parmi les très nombreux chefs-d'oeuvre de Robert Silverberg, et demeure largement d'actualité plus de quarante ans après sa publication.

J. N

 

Robert Silverberg, Le temps des changements, Le Livre de Poche, 2013, 254 p.

Publié pour la première fois en 1971 sous le titre original A Time of Changes.

- Prix Nebula - 1971.

(1) Quête de l'identité comme dans Le livre des crânes (1972) mais également introspection concernant le judaïsme, qui apparaît également en filigrane dans L'oreille interne (1972).

19/01/2015

Berthe Morisot

impressionnisme,berthe morisot,dominique bona,paul durand-ruelMembre de l'Académie française depuis avril 2013 et lauréate du Prix Renaudot, Dominique Bona nous propose ici une biographie de Berthe Morisot (1841-1895). Pourquoi elle ? Dominique Bona s'est interrogée sur ce portrait peint par Edouard Manet en 1872 (Berthe Morisot au bouquet de violettes), constituant la couverture du livre. Enigmatique ce portrait de la future belle-soeur de Manet (sourit-elle ?), représenté dans un mélange de clair et d'obscur. Mais surtout, Berthe Morisot fut la seule femme au sein de ce groupe d'Impressionnistes décriés à leurs débuts et refusés par les Salons officiels. A travers ce récit, tous ces peintres et amis seront d'ailleurs évoqués (Manet, Monet, Pissarro, Degas, Renoir...etc). Impossible en effet de ne pas raconter leur histoire puisque leurs parcours sont étroitement liés (Mallarmé et Zola faisaient également partie de la bande). Voici donc un livre passionnant sur les débuts de l'Impressionnisme, pour ceux qui s'y intéressent. Et pour voir les toiles en vrai, hormis les Musées d'Orsay, de l'Orangerie, et Marmottan-Monet, à Paris, le Musée du Luxembourg propose jusqu'au 8 février une exposition consacrée à Paul Durand-Ruel - marchand d'art et promoteur des peintres impressionnistes - et permettant d'apprécier 80 toiles provenant de musées français et étrangers. J. N

Dominique Bona, Berthe Morisot - Le secret de la femme en noir, Le Livre de Poche, 2000, 378 p.

- Bourse Goncourt de la biographie

- Prix Bernier de l'Académie des Beaux-Arts

04/12/2014

Les chaînes de l'avenir

philip k. dick,panthropie,les chaînes de l'avenir,the world jones madeToujours Philip K. Dick. Les chaînes de l'avenir, écrit en 1956, est son second roman (1), correspondant du coup à sa première période d'écriture. Si durant celle-ci, il ne connut pas de succès (celui-ci intervient en 1962 avec Le maître du haut château, lauréat du prix Hugo un an plus tard), il allait tout de même y développer certains de ses thèmes fétiches. En effet, le thème du simulacre dont Philip K. Dick et Daniel F. Galouye sont les précurseurs, apparaît déjà dans L'oeil dans le ciel (Eye in the sky, 1957), avant d'être plus explicitement développé dans Le Temps désarticulé (Time out of joint, 1959) (3) et Simulacres (1960).

Dans un monde en proie au chaos et menacé par une invasion extraterrestre imminente, le salut (ou le coup de grâce ?) pourrait venir de Jones, capable de lire l'avenir avec un an d'avance. Le titre français du livre a permis l'écriture de la phrase suivante sur le quatrième de couverture de l'ancienne édition (Le Masque - Science-Fiction) : "Quel sera alors le destin de ce dictateur, prisonnier de sa faculté, prisonnier des chaînes de l'avenir ?" Mais Jones l'est-il vraiment ? Sachant qu'il sait quand et comment on tentera de l'assassiner ?

philip k. dick,panthropie,les chaînes de l'avenir,the world jones made,métaphysique,relativisme,prophète,dictatureS'il ne constitue pas une oeuvre phrare de Dick (la période 60-70 sera la plus intéressante), ce livre à la dimension dense préfigure toutefois ce qui allait venir par la suite : culte de la personnalité (l'allusion à Adolf Hitler est à peine voilée - Radio Free Albemuth développera également le thème du dictateur) et mythe du prophète absolu (4), monde pré/pro-apocalyptique, robots (thème brillamment développé dans Blade Runner), panthropie (5), relativisme...etc.

philip k. dick,panthropie,les chaînes de l'avenir,the world jones made,métaphysique,relativisme,prophète,dictatureAnalyse

L'histoire gravite autour de la notion métaphysique de la renaissance spirituelle et le désir de l'homme de transcender ses limitations. Philip K. Dick fait usage de nombreux parallélismes pour montrer les différentes tentatives des personnages de surmonter leur humanité par le biais d'antithèses. D'une part, l'épouse du principal protagoniste (Cussick) décide de le quitter en raison de la monotonie de sa vie quotidienne et finit par succomber à la décadence dans l'espoir de retrouver l'au-delà ; d'autre part, l'humanité tente de se reconstruire à travers des mutants envoyés sur Vénus et en se fiant aux visions pré-cognitives de Jones.  

C. A et J. N

 

Philip K. Dick, Les chaînes de l'avenir, Le Masque, Science-Fiction, 1976, 254 p. 

Paru pour la première fois en 1956 sous le titre original The World Jones made.

 

(1) Paru en 1955, Solar Lottery est le premier.

 

(2) Le film The Truman Show (Peter Weir, 1998) en sera largement inspiré.

(3) Thème développé dans Dune (1965) de Frank Herbert.

(4) Thème typique de science-fiction, la panthropie aborde le fait d'adapter génétiquement les humains afin de coloniser des planètes à l’environnement hostile. Dans son roman The Seedling Stars (Semailles humaines, 1957), James Blish (1921-1975) est le premier à en faire un thème central. Au cinéma, le thème est notamment développé dans Avatar (2009) de James Cameron.