29/12/2020
American Factory
C'est après avoir regardé les cinq documentaires nominés l'hiver 2019 à l'Oscar du meilleur film documentaire que nous affirmons définitivement être un peu étonnés que celui-ci ait remporté la statuette. Ce documentaire aborde la vie de l'usine Moraine dans l'Ohio post-industriel. Spécialisée dans la construction de pièces automobiles, l'usine appartient à un milliardaire chinois qui racheta en 2009 cette ancienne filiale de General Motors.
Tourné en fly-on-the-wall, le documentaire dépeint le quotidien difficile des 2000 employés américains victimes de l'exploitation chinoise. A travers ce clash socio-économico-culturel entre employés américains et employeurs chinois, American Factory semble mettre en avant la fracture entre la classe ouvrière américaine et le néo-capitalisme chinois. Etre sensible à ce sujet dépend de la manière de concevoir le monde à tous les niveaux. Il y a toutefois un problème - lorsqu'on n'est pas américain - à comprendre cette tendance à fustiger des pratiques dont sont victimes les Américains et provenant de l'extérieur lorsque ces mêmes Américains usent des mêmes pratiques à l'étranger. Nous évoquions d'ailleurs cela, en matière de pratique politique, dans notre commentaire sur le documentaire Active Measures (2018).
Sans doute aurait-il été plus intéressant de confronter cette classe ouvrière au sytème économique ultra-capitaliste américain. Mais ce capitalisme sauvage n'est à aucun moment remis en cause. C'est là que le bât blesse. Sans vouloir enlever trop de crédit à ce documentaire, nous ne comprenons pas pourquoi il a été préféré aux autres nominés. Si The Edge of Democracy n'a, à notre sens, rien de particulièrement transcendant dans le sens où il est simplement un plaidoyer pour plus de démocratie au Brésil et où son orientation politique est un peu trop directe et transparente, les poignants The Cave (le quotidien d'un hopital dans le conflit syrien), Pour Sama (toujours dans la guerre de Syrie, un regard intimiste sur l'expérience féminine de la guerre - primé meilleur documentaire aux BAFTA Awards et European Awards en 2019) et Honeyland (une confrontation entre consumérisme et préservation de l'environnement) méritaient davantage de consécration...
Mais voilà, un documentaire portant dans son titre "American" (les fictions et documentaires comportant également cela ne se comptent plus) et produit par l'empire Netflix a nécessairement eu plus de couverture médiatique que les autres, provenant de tous de pays en développement (la production de For Sama est anglo-américaine mais la réalisatrice est syrienne). De même, force est de constater que sur les 37 dernières éditions des oscars américains, la statuette du meilleur documentaire n'a échappé que 6 fois (1996, 2000, 2006, 2016 et 2013) aux Etats-Unis... J. N
American Factory (Steven Bognar, Julia Reichert, 2019, USA, 110 min)
- Meilleur documentaire - Academy Awards 2019
- Meilleure direction de documentaire - Primetime Emmy Awards 2020
- Meilleure direction de documentaire - Directors Guild of America 2020
- 1 nomination (meilleure documentaire) - BAFTA Awards 2019
- Meilleur documentaire - Gotham Awards 2019
10:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : netflix, american factory, steven bognar, julia reichert, oscar du meilleur documentaire, chine, etats-unis, néo-capitalisme chinois, moraine, general motors, classe ouvrière, classe ouvrière américaine, capitalisme, capitalisme sauvage, système économique américain, système économique néolibéral, néolibéralisme, libéralisme économique, ohio, fly-on-the-wall
19/12/2020
Totally Under Control
Toujours Alex Gibney. Le documentariste des mauvais agissements et des actes illicites a eu l'idée de s'attaquer à la gestion américaine de la pandémie du Covid-19 après qu'un ami ait succombé à sa contamination au virus dévastateur. Vu que son temps était compté (désirant terminer le documentaire avant l'élection présidentielle américaine de l'automne 2020), il a été cette fois-ci secondé par deux autres réalisateurs.
Gibney nous plonge ainsi dans les premiers mois de la propagation du coronavirus aux Etats-Unis, soit à partir du 20 janvier 2020 (premier cas de contamination à Seattle). Ce regard en profondeur sur la réponse de l'administration Trump face à la pandémie en cours est édifiant et confirme encore une fois toute l'incompétence et l'incurie d'un gouvernement que nous sommes bien heureux (et nous ne sommes pas les seuls) de voir quitter le pouvoir. L'argumentation est jalonnée d'une comparaison avec la gestion du virus en Corée du Sud, où les choses se sont passées beaucoup mieux. Petit bémol et nous avions relevé ceci dans un commentaire précédent sur un documentaire de Gibney (Citizen K, 2019) : le raisonnement n'est pas toujours pertinent, soit la comparaison ici avec la gestion de pandémies par l'adminitration Obama (H1N1, Ebola notamment) alors que celles-ci n'avaient pas la même amplitude. Quoi qu'il en soit, l'argument principal est sidérant : la gestion calamiteuse d'un gouvernement qui a minimisé l'impact du virus mondial au nom d'impératifs économiques qu'il n'a pas pu tenir non plus. Pensant remporter la présidentielle grâce aux statistiques économiques, Trump l'a finalement perdue en raison d'une situation sanitaire et économique catastrophique aux Etats-Unis.
Autre constat : il n'y a pas de secret en politique. Le manque d'expérience conjugué à de l'arrogance extrême, de la condescendance et une allergie inouie à la critique ne paient pas. Trois dirigeants élus il y a quelques années à la fonction suprême et se disant "anti-système" ont échoué. Minimisant l'impact du virus, les dirigeants racistes que sont Jair Bolsonaro (Brésil) et Donald Trump ont plongé leur pays dans le chaos et contracté le virus au passage (Trump au moment de la finalisation de ce documentaire...). En France, où la gestion du virus laisse également à désirer, Emmanuel Macron vient de contracter le virus mais cela ne l'a pas empêché de célébrer son anniversaire à l'Elysée avec de nombreuses personnes tandis que dans le même temps, des restrictions (couvre-feu, pas moins de 6 personnes à dîner...etc) sont imposées aux Français. Il y a un moment déjà que nous avons compris que les politiques se fichent de montrer l'exemple. Des politiques qui méritent l'échaffaud. J. N
Totally Under Control (Alex Gibney, Ophelia Harutyunyan, Suzanne Hillinger, USA, 2020, 123 min)
09:57 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alex gibney, totally under control, donald trump, covid-19, coronavirus, administration trump, etats-unis, pandémie, corée du sud, neon, france, emmanuel macron, macron, jair bolsonaro, brésil
17/12/2020
The Perfect Weapon
Vu le début du documentaire, nous pensions que celui-ci traitait du même sujet que Zero Days (2016). Les premières images et paroles concernaient en effet l'affaire du virus Stuxnet qui détruisit en 2009 une partie du complexe nucléaire de Natanz en Iran, complot dans lequel étaient hautement impliqués les Etats-Unis et cette affaire était décryptée dans l'autre documentaire, réalisé par le prolifique Alex Gibney. Mais nous constations assez rapidement que c'est en fait une suite/conséquence de Zero Days. L'affaire Natanz n'était pas sans conséquences pour les Etats-Unis puisque l'Iran répliquait en infectant le système électronique d'un géant du casino à Las Vegas. 2ème cas abordé : la Corée du Nord s'attaquant au système électronique de firme Sony en raison d'un film américain en production et dans lequel Kim Jong-un devait être assassiné par un commando américain. 3ème cas, le GRU (les services de renseignements de l'armée russe s'attaquaient au quartier général du Comité national démocrate (à Washington), l'organisme américain chargé de diriger le Parti démocrate au niveau national.
La Russie n'était pas en reste puisqu'elle interférait par la suite dans la campagne présidentielle américaine de 2016, en inondant les réseaux sociaux de désinformation ternissant l'image de la candidate démocrate Hillary Clinton. Finalement, comme Zero Days, même s'il se concentre sur la première puissance mondiale, ce documentaire - basé sur l'ouvrage éponyme de David E. Sanger et diffusé le 16 octobre dernier sur HBO - a le mérite de mettre en exergue un phénomène récent : la place de plus en plus importante de la cyberguerre (la guerre "silencieuse") dans les guerres intertétatiques. De même, l'abord du cas de la présidentielle américaine et de la désinformation (abordés également dans les documentaires The Great Hack et The Social Dilemma) soulève une nouvelle question géopolitique fondamentale : l'impact de la cyberguerre sur la souveraineté des Etats. J. N et C. A
The Perfect Weapon (John Maggio, USA, 2020, 97 min)
21:08 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : john maggio, the perfect weapon, hbo, hbo max, cyberguerre, cybercriminalité, russie, corée du nord, gru, etats-unis, natanz, iran, souveraineté des etats
15/12/2020
Les mondes de Philip K. Dick
Fait assez rare pour être cité, nous avons offert la semaine passée deux livres de Philip K. Dick (deux recueils de nouvelles, FOLIO SF) de notre collection sacrée à deux de nos élèves en Première HGGSP. J'avais eu l'agréable surprise de les entendre discuter à la pause du thème de la dystopie, terme que ne connait pas la quasi-majorité des ados de cette âge-lâ (génération d'écervelés par ailleurs). L'occasion de revenir sur ce documentaire consacré à Dick par ARTE en 2015.
On apprend ici sur la vie de Philip K. Dick, la psychose qui travaillait son œuvre, l'essence de celle-ci et l'apport inestimable qu'elle apporta au genre de la science-fiction, et son obsession avec l'intelligence artificielle. Nous ne revenons pas longuement sur son œuvre, l'ayant déjà effectué dans nos nombreux commentaires sur ses romans, notamment notre première note dont le point de départ était Substance mort.
Le documentaire est traversé par le témoignage de la seconde femme de Dick, Tessa, par des commentaires d'auteurs de SF comme David Brin qui affirme qu'"il n'écrivait pas des romans basés sur l'horreur mais plutôt sur la sinistre sensation que toutes nos certitudes sont bâties sur du sable", mais également par des citations (accompagnées d'extraits vidéos) des œuvres de Dick, notamment Blade Runner, Minority Report, Ubik, Le dieu venu du centaure, Le bal des schizos, Simulacres...etc.
Sans doute, c'est un peu court (55 min) mais cela demeure un très bon condensé de la vie et de l'œuvre de celui "dont l'œuvre a anticipé comme aucune autre le monde paranoïaque et technologique de notre XXIème siècle". Pour comprendre avec plus d'acuité la vie et toute la dimension du chef-d'oeuvre dickien, il faudra lire les biographies qui lui sont dédiées en anglais, ou celle, excellente et en français, d'Emmanuel Carrère, Je suis vivant et vous êtes morts. J. N
Les mondes de Philip K. Dick (2016, 55 min)
Scénaristes : Yann Coquart, Ariel Kyrou
Production : ARTE Production, Nova Production
11:47 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : philip k. dick, mondes parallèles, les mondes de philip k. dick, arte, science-fiction, anticipation, yann coquart, ariel kyrou
10/12/2020
Citizen K
Vu la recrudescence des tensions russo-américaines depuis quelques années dont le point d'orgue a été la supposée interférence russe dans l'élection présidentielle américaine de 2016 (interférence montrée du doigt dans Active Measures (2018) et The Great Hack (2019), les documentaires anti-russes et stigmatisant l'absence de démocratie dans l'Etat succésseur de la défunte Union soviétique semblent s'enchaîner.
On retrouve à la manoeuvre Alex Gibney, le documentariste des mauvais agissements. Citizen K se penche sur l'affaire Mikhail Khodorkovski. Cet ancien oligarque russe, ex-première fortune de Russie et fondateur du géant pétrolier Ioukos s'est retrouvé dans le collimateur du pouvoir politique russe (id est Vladimir Poutine) lorsqu'il annonçait en 2003 vouloir se lancer en politique. Mal lui en a pris. Le 25 octobre 2003, il est arrêté à l'aéroport de Novossibirsk puis emprisonné pour évasion fiscale et escroquerie à grande échelle. Incarcéré dans une colonie pénitentiaire de Sibérie (à 6500 km de Moscou), il écope de 8 ans de prison, peine prolongée de plusieurs années par la suite lors d'un second procès. Il est finalement gracié par Poutine et libéré le 20 décembre 2003.
Qu'Alex Gibney - considéré par certains comme un des meilleurs documentaristes du moment - plaide la cause d'un homme emprisonné pour raisons politiques et victime d'un système politique autoritaire et où l'Etat de droit n'a jamais existé est tout à son honneur, lui qui en général effectue des réquisitoires avisés contre les comportements illicites (The Arsmstrong lie, 2013), dénués d'éthique (Going Clear: Scientology or the Prison of Belief 2015), ou inhumains (Taxi to the dark side, 2008)...etc. Mais le problème ici est le raisonnement utilisé pour expliquer la guerre menée par Vladimir Poutine contre les oligarques, celui-ci cherchant (avec succès) à redresser la Russie après des années Eltsine (1991-2000) chaotiques et marquées par une collusion flagrante entre la sphère politique et les milieux économico-mafieux, instaurant la "verticale du pouvoir" et la "dictature de la loi". En effet, Gibney effectue un parallèle entre Staline et la collectivisation sanglante des années 1930. Le "Vojd" avait affirmé vouloir supprimer les koulaks (les paysans supposément aisés) comme classe sociale. Et Poutine avait affirmé vouloir supprimer les oligarques comme classe sociale.... Ce fil rouge historique est complètement dénué de pertinence. Le réalisateur américain avait d'ailleurs usé du même principe en ce qui concerne le scandale Volkswagen (il réalise l'épisode 1 de la série-docu Dirty Money qui décrypte ce scandale), faisant un parallèle entre la pratique illicite du géant allemand de l'automobile et la promotion de la "voiture du peuple" par Adolf Hitler... Marqué par un certain essentialisme et un déterminisme historique, le raisonnement global ne tient pas la route.
Plus intéressant par contre est le décryptage (mais pas assez substantiel à notre sens) à travers l'affaire Khodorkovski du chemin politoco-économique sinueux entrepris par la Russie post-soviétique. Mais là aussi, il y a des défaillances car on ne comprend pas vraiment s'il s'agit d'un documentaire sur le chaos russe des années 1990-2000, d'une réflexion sur l'ascension fulgurante de l'actuel président de la Russie ou un biopic sur Khodorkovski. Hormis ce défaut, le raisonnement, et la propagande anti-russe, Khodorkovski est présenté comme un parangon de la démocratie et un porte-flammes (russe) des droits de l'homme, lui qui a grandement participé au pillage économique dégoûtant de la Russie née sur les décombres de l'URSS. Constat final : un documentaire à regarder avec beaucoup d'esprit critique. J N
Citizen K (Alex Gibney, 2019, USA, 125 min)
- Présenté - Festival international de Toronto 2019
- Présenté - Mostra de Venise 2019
- Nominé (meilleur documentaire) - Festival international de Varsovie 2019
- Nominé (meilleur documentaire) - Satellite Awards 2019
21:22 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : alex gibney, amazon, mikhail khodorkovsky, poutine, vladimir poutine, russie, urss, démocratie, oligarques russes, oligarchie, kremlin, ioukos, citizen k, propagande anti-russe, classe sociale, koulak, russie post-soviétique