09/11/2020
13th
Pas sûr que l'actuelle passation de pouvoir aux Etats-Unis y change grand chose mais il est intéressant quand même de revenir sur ce documentaire. En effet, celui-ci (dont le titre fait référence au 13ème amendement de la Constitution américaine, qui abolissait l'esclavage) dépeint à charge les liens entre le pouvoir républicain (dont Donald Trump est actuellement la grande figure perdante) et l'incarcération de masse aux Etats-Unis, un débat récurrent qui semble oublié par la politique américaine, qu'elle soit démocrate ou républicaine.
Le documentaire démarre avec une statistique édifiante. Si les Etats-Unis représentent 5% de la population mondiale, ils concentrent par contre 25% de la population carcérale mondiale. La réalisatrice soutient qu'aux Etats-Unis, l'esclavage s'est perpétué sous d'autres formes, plus pernicieuses et implicites. Et depuis la fin du XXème siècle, nous assistons à un phénomène d'incarcération de masse (ou "hyper-incarcération"), résultat de nouvelles lois très strictes, du moins "illégitimes", comme la guerre contre la drogue ou la privatisation du droit de vote de la population afro-américaine. Or ceux qui sont victimes de ces lois sont les populations de couleur (latinos, blacks)...
Dans le même temps, le fonctionnement de l'univers carcéral est examiné. Les centres pénitentiaires sont devenus des machines à sous pour les entreprises privées qui les financent. Or, le secteur privé est très influent auprès de la sphère politique (notamment républicaine) lorsqu'il s'agit de voter des lois liées au code pénal. Coup double : Ava DuVernay dénonce à la fois la collusion entre business et univers carcéral et le processus de criminalisation volontaire des populations de seconde zone. Le tout forme un magnifique triangle où les liens entre société, économie et politique sont inextricables, soit faire de l'argent, se maintenir au pouvoir, et détruire des composantes de la société américaine, qui ont toujours été traitées comme des peuples "colonisés", après que les peuples autochtones (les Amérindiens) furent génocidés.
C'est se rappeler ici que la recherche permanente du profit (coûte que coûte), le conflit d'intérêt et la domination politique d'une élite blanche, protestante, riche et raciste constituent la pierre angulaire du système américain. Et se rappeler également que les Etats-Unis (on ne le dit pas assez), "the land of freedom", sont encore et toujours une des sociétés les plus inégalitaires au monde. Efficace, rapide (01h40) et instructive, cette réflexion qui ne se veut pas ambitieuse mais cherche à éveiller les esprits, est un tour de force. Comme nous l'avons dit, pas sûr que cela change grand chose. Mais à voir quand même. J N
13th (Ava DuVernay, 2016, USA, 100 min)
- Nominé (meilleur documentaire) - Oscars 2017
- Présenté - New York Film Festival 2016
- Meilleur documentaire - BAFTA Awards 2017
- 4 prix - Primetime Emmy Awards 2017
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11:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : univers carcéral américain, 13th, ava duvernay, conflit d'intérêt, etats-unis, netflix, population afro-américaine, blacks, latinos, esclavage
23/08/2020
The Last Czars
Si le géant du streaming, Netflix, produit de très nombreuses séries moyennes (c'est ce qui arrive quand on privilégie la quantité à la qualité), force est de constater toutefois que les séries historiques produites tiennent la route, pour deux raisons essentielles : la pertinence historique du récit et le format (mini-série de quelques épisodes). En bref, c'est sérieux et court, donc efficace.
En novembre 2019, la série documentaire Greatest Events of WWII in Colour éclipsait ce qui était considéré jusque-là comme la série documentaire de référence sur la Seconde guerre mondiale, Apocalypse: la Seconde guerre mondiale (2009). Comme cette dernière, Greatest Events présentait des images d'archives coloriées mais en lieu et place d'un seul narrateur, les 10 épisodes (6 pour Apocalypse) retraçant des moments-clés du conflit le plus meurtrier étaient accompagnés d'éclairages apportés par des historiens.
Retraçant les dernières années de la dynastie des Romanov (1), du sacre de Nicolas II (1894) jusqu'à l'exécution de la famille entière à Ekaterinbourg (juillet 1918), The Last Czars (ou "la saga des Romanov") - diffusée en 2019 avant la série précédemment citée - fait encore mieux coté novateur puisqu'il s'agit d'une série de docufiction, le scénario fictif étant jalonné d'expertises apportées par des historiens britanniques, américains et russes. Adressée à un grand public, la série permet donc de cerner en 6 épisodes de 45 minutes chacun et avec plus ou moins d'acuité ce qu'était le dernier tsar de Russie (2), ce qu'était le moine guérisseur Raspoutine et quelle fut sa relation à la famille royale, et la montée du mécontentement populaire qui mènera à deux révolutions en 1917 (puis à la mise en place du premier Etat communiste au monde, sujet non traité ici). Efficace comme nous le disions.
Enfin, la famille royale a-t-elle vraiment été assassinée dans le sous-sol de la maison Ipatiev à Ekaterinbourg? Y-a-t-il eu des survivants? Au vu des réserves de certains historiens (3), la fameuse question n'est pas complètement tranchée, même si personnellement nous penchons vers l'affirmatif. Concernant cela, nous recommandons l'épisode 8 de la saison 2 de la série documentaire française L'ombre d'un doute (2011-2015), qui consacre pas moins d'une heure et demi à cette question : "Les Romanov, enquête sur la mort du tsar et de sa famille" (4).
J N
The last czars (Netflix, 3 juillet 2019) - 6 épisodes
Réalisation : Adrian McDowall, Gareth Tunley
Cast : Robert Jack, Susanna Herbert, Ben Cartwright, Oliver Dimsdale, Bernice Stegers.
(1) Celle-ci débute avec Michel 1er le 21 février 1613.
(2) Nicolas II est considéré comme le dernier tsar russe mais "techniquement", c'est son frère Michel II qui le fut, succédant à ce dernier après son abdication mais tsar durant seulement 24 heures (15-16 mars 1917).
(3) Comme par exemple l'éminent historien français (spécialiste de la Russie et de l'URSS), Marc Ferro, qui dans son ouvrage La vérité sur la tragédie des Romanov (2012), il considère, documentation à l'appui, que la tsarine et les grandes duchesses n'auraient pas été assassinées et furent exfiltrées en Allemagne.
(4) Episode diffusé pour la première fois le 30 janvier 2013 sur France 3.
14:38 Publié dans Documentaire, Series | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : the last czars, les derniers tsars, nicolas ii, netflix, romanov, révolution d'octobre, russie, ekaterinbourg
31/07/2020
Kusama Infinity
Après Erwin Blumenfeld, un autre documentaire court permettant de cerner l'oeuvre (et la personnalité) d'une grande artiste, en l'occurence la japonaise Yayoi Kusama. Peintre, sculptrice et écrivaine, celle-ci intégrera les mouvements art abstrait et pop art, à la suite de son installation à New York durant les années 1960. Son départ pour l'Amérique était d'ailleurs inéluctable vu qu'il était très rare dans un Japon traditionnel qu'une femme entame une carrière artistique. Sans entrer dans un long récit sur cette artiste hors-norme et active plus d'un demi-siècle, nous retiendrons deux éléments qui ont grandement influencé son parcours et l'essence de son oeuvre. C'est d'abord le poids du carcan familial et d'une société patriarcale qui pousse l'artiste à exprimer à travers son oeuvre un message anti-machiste et subversif. Kusama affirma:
"Au beau milieu d’une famille aussi toxique que celle-ci, la seule chose pour laquelle je vivais était mon art. Et comme je manquais de sens commun dans mon rapport aux gens et à la société, les conflits avec mon entourage se sont aggravés plus encore. La pression mentale et mon anxiété naturelle se faisaient de plus en plus présentes à mesure que les critiques me visaient, et l’avenir commença à me paraître sombre et répugnant".
Ensuite, Kusama est "victime" d'hallucinations dès l'âge de dix ans. Sa production artistique constituera par conséquent une sorte de catharsis, l'ensemble de ses productions lui servant d'exutoire, et lui permettant de sortir de sa névrose, de ses angoisses. Dans ce sens, elle affirmera qu'elle fait de "l'art psychosomatique". Son concept central qui transparaît à travers ses productions est celui de la "self-obliteration", soit la perte d'individualité des êtres humains (qui se rapproche, à notre sens, des thèmes littéraires développés par Franz Kafka). Kusama affirme dans ce sens que "nous sommes plus que des misérables insectes dans un univers incroyablement vaste".
Il serait sans doute judicieux de se replonger dans l'oeuvre de Kusama (consacrée par des restrospectives durant les années 2010 en Angleterre, aux Etats-Unis et en France), à l'heure où les humains sont de plus en plus désemparés dans un monde cruel, injuste et qui va très (trop?) vite. J N
Kusama: Infinity (Heather Lenz, 2018, USA, 76 min)
14:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : kusama infinity, japon, kusama, yayoi kusama, self-obliteration, art abstrait, new york, pop art, perte d'individualité, art, peinture, sculpture, etats-unis, heather lenz
30/04/2020
Honeyland
Un très beau documentaire qui fut nommé aux oscars en début d'année. Il suit Hatidze Muratova, une des dernières personnes à récolter le miel de manière traditionnelle, dans les montagnes désertiques de Macédoine du Nord (elle habite le village minuscule de Bekirlija dans le centre du pays). D'un grand coeur, Hatidze récolte le miel juste de quoi survivre et maintenir sa mère malade en vie. Elle fait toujours en sorte de laisser du miel aux abeilles. Mais voilà qu'une famille de nomades vient s'installer tout près de sa maison et met en péril - sans aucun scrupule - aussi bien sa survie que celle des abeilles.
Mis à part une très belle photographie (magnifiques paysages) et une mise en scène/scénario singuliers (la structure narrative - appelée "fly on the wall" et n'utilisant pas les interviews et la voix off - donne l'impression qu'il s'agit d'une fiction), le traitement de la question des abeilles (traité spécifiquement dans le documentaire More than Honey, 2012) est intéressant dans le sens où il s'élargit de manière subtile à de plus amples questionnements. Le souci de Hatidze de préserver ces abeilles avec qui elle entretient une relation spéciale et a contrario les méthodes maladroites, sans connaissance aucune, et rapaces de ses voisins indélicats invitent à réfléchir sérieusement à la destruction de l'environnement et à la lente disparition de biodiversité.
Comment trouver un équilibre entre préservation de l'écosystème (Hatidze) et consumérisme (les voisins nomades) ? C'est toute la question qui se pose. Hélas, dans un monde régi par le néolibéralisme économique, l'exploitation outrancière des ressources naturelles et le thème sacro-saint de la croissance, c'est la seconde tendance qui l'emporte. A moins que la crise socio-économique actuelle engendrée par la pandémie du Coronavirus-Covid-19 (qui au moment où nous écrivons ces lignes a déjà causé 3.2 millions de contaminations dont plus de 228.000 morts) ne poussent les dirigeants de cette planète à revoir notre manière de vivre mais là encore, rien n'est sûr... Un documentaire magnifique à voir absolument. J N
Honeyland (Tamara Kotevska, Ljubomir Stefanov, Macédoine du Nord, 2019, 89 min)
- 2 nominations (meilleur documentaire et meilleur film international) - Oscars 2020
- Meilleur documentaire - Festival d'Athènes 2020
- Meilleur documentaire - Boston Society of Film Critics Awards 2019
- Meilleur documentaire - DocsBarcelona 2019
- Meilleur documentaire - Festival de Sao Paulo 2019
- Prix de la cinématographie, prix spécial du Jury et Grand prix du Jury - Festival de Sundance 2019
- Meilleur documentaire - Vancouver Film Critics Circle - 2019
08:35 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : honeyland, macédoine du nord, hatidze muratova, abeilles, environnement, destruction de l'environnement, consumérisme, écosystème, système économique néolibéral, tamara kotevska, ljubomir stefanov
27/04/2020
Going clear: Scientology and the Prison of Belief
Il fallait bien que quelqu'un se lance dans un film documentaire sur la scientologie. C'est ce qu'a effectué en 2015 Alex Gibney. Le spécialiste des affaires louches et/ou illicites, entre attaque cybernétique américo-israélienne contre l'Iran, le scandale Volkswagen (le premier épisode de la série documentaire Dirty Money), Lance Armstrong et le dopage, Wikileaks, les abus de l'armée américaine en Afghanistan (1) et bien d'autres (2), a donc osé raconter et critiquer la puissante et secrète Eglise de scientologie, affirmant qu'il s'est intéressé à la scientologie car au-delà de la fascination qu'elle exerçait, "elle faisait faire à des gens des choses qu'elles n'auraient jamais faites si elles n'avaient pas adhéré au mouvement".
Le documentaire est une adaptation du livre de Lawrence Wright, Going Clear: Scientology, Hollywood and the Prison of Belief (2013). Si les titres diffèrent, c'est probablement du au fait que dans le documentaire, il n'y a pas d'accent mis sur les relations entre la scientologie et certaines stars notoires de Hollywood, même si celles-ci sont abordées rapidement (John Travolta, Tom Cruise). Deux dimensions sont abordées ici : une genèse rapide et claire de la scientologie, à laquelle est - logiquement - greffée une biographie de son fondateur L. Ron Hubbard (1911-1986), et de nombreux témoignages d'anciens membres de la scientologie, narrant leurs sessions de travail ainsi que l'exploitation psychologique et financière dont ils furent victimes.
Au vu de la réputation (et de l'historique) de harcèlement et de secret quasi-absolu qui entoure la scientologie, il faut donc saluer ce travail qui nous éclaire quelque peu sur ce mouvement religieux classé comme secte (3) et imperméable à toute forme de critique. Gibney a d'ailleurs essuyé le refus de nombreux réseaux de télévision quant à une participation à la production, ces derniers voulant éviter des démêlés judiciaires avec la scientologie. Principal producteur, la chaîne HBO s'était d'ailleurs entourée d'une armée d'avocats comme anticipation d'une éventuelle bataille judiciaire. La scientologie a en fait riposté par une campagne de dénigrement du documentaire via la presse traditionnelle (New York Times et Los Angeles Times) et internet. Les producteurs et témoins du films ont également reçu des menaces physiques et morales.
Largement salué par la critique, Going Clear est considéré par Slate comme un "brillant exposé sur une organisation et une religion qui a trop longtemps été enveloppée de mystère", tandis que le Hollywood Reporter estime qu'il représente "une intervention courageuse et opportune dans les débats sur cette organisation qui couvent depuis un certain temps". S'il avance les côté positifs, le très sérieux The Guardian regrette en même temps le manque de participation de la secte, ce qui rend le documentaire "un peu partial".
Il est vrai que l'absence de prise de parole de membres actuels (Gibney l'a tenté mais on lui a refusé de parler aux personnes en question lui proposant d'autres membres dont les témoignages n'auraient - semble-t-il - pas apporté grand chose) constitue un bémol puisqu'il ne permet pas d'avoir une vision globale de ce qu'est la scientologie. Mais en même temps, ce fait stigmatise, à notre sens, son essence-même : une supercherie (à moins de considérer que toutes les religions le sont mais cela constitue un autre débat).
L'essentiel est là : on comprend qu'à la base, la scientologie n'est pas une religion (Hubbard l'a enregistré comme tel afin d'éviter les impôts et on constate, d'une part, que les abus qu'a commis la scientologie sont graves (elle a presque détruit la vie de certaines personnes), et d'autre part, à quel point le lavage de cerveau (contre rémunération) est facile. J N
Going Clear: Scientology and the Prison of Belief (Alex Gibney, 2015, 120 min)
- Présenté - Festival de Sundance 2015
- Meilleur documentaire - Primetime Emmy Awards 2015
- Meilleur réalisateur - Primetime Emmy Awards 2015
- Meilleure écriture - Primetime Emmy Awards 2015
- Meilleur documentaire - Las Vegas Film Critics Society Awards 2015
- Meilleure production - Peabody Awards 2016
- Meilleur scénario de documentaire - Writers Guild of America - 2016
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(1) Relatant la torture et mort d'un prisonnier dans la prison militaire de Bagram, tenue par l'armée américaine, le documentaire Taxi for the Dark Side (2007) a obtenu l'oscar du meilleur documentaire.
(2) Il est le réalisateur, tout récemment, de la série The Innocent Files (Netflix).
(3) Une secte est considérée comme un groupe ou organisation, souvent à caractère religieux, dont les croyances ou les comportements sont jugés obscurs, inquiétants ou nocifs par le reste de la société.
09:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : going clear, alex gibney, lawrence wright, going clear:scientology, hollywood and the prison of belief, john travolta, tom cruise, scientologie, eglise de la scientologie, hbo, l. ron hubbard, hubbard