24/11/2020
The Social Dilemma
Les réseaux sociaux et leur impact nocif sur les sociétés. Un sujet alarmant et dont on parle de plus en plus et que devrait regarder toute personne accro aux réseaux sociaux. C'est ce sujet qu'aborde ce documentaire diffusé par Netflix le 9 septembre dernier. Il rejoint, dans ce sens, un autre docu netflixien, The Great Hack, qui montrait comment la collecte d'informations par un réseau social - Facebook - et leur vente à une entreprise de stratégie politique avait permis d'influencer l'opinion publique et son vote lors de l'élection présidentielle américaine de 2016 et du référendum sur le Brexit (toujours en 2016).
L'angle d'attaque est la montée en puissance des géants du numérique et les dommages qu'ils causent à la société, par le biais de l'exploration et exploitation des données personnelles, et du capitalisme de surveillance (1). Les GAFAM (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft) et autres (Instagram, Twitter, Pinterest, Youtube...etc.) se font de la compétition autour de l'attention des utilisateurs qui par conséquent deviennent des produits. Nuancant cette assertion simpliste d'après lui, Jaron Lanier (2) affirme que "c'est le changement graduel et imperceptible dans notre comportement et notre perception qui est le produit". Attirer les utilisateurs veut dire pouvoir prévoir leurs attentes et donc avoir des données. C'est ce schéma qui mène au capitalisme de surveillance. Prévoir les comportements et attentes des "utilisateurs" permettra de capter leur attention puis de mettre en place des stratégies qui créeront une addiction aux plateformes qu'ils utilisent. Dans ce sens, Edward Tufte (3) rappelle qu'"il y a seulement deux industries qui appellent leurs clients des 'utilisateurs' : le narcotrafic et l'informatique".
La force du documentaire tient essentiellement de sa structure docu-drame, qui alterne entre interviews d'anciens cadres des entreprises puissantes du web (apportant leur expertise sur leurs fonctionnements) et séquences de fiction illustrant leurs propos et donnant une image miroir de la réalité. Il apporte de même un regard lucide et incisif sur les réseaux sociaux et leur impact sociétal négatif, en 90 minutes. Efficace. Gros bémol par contre, synonyme d'hyprocrisie et souligné par Elodie Drouard (France TV) : le producteur, Netflix, utilise également des algorythmes afin d'influencer et attirer ses abonnés (4)... J N
The Social Dilemma (Jeff Orlowski, USA, 94 min)
(1) L'expression désigne le rôle économique grandissant des modes de surveillance de la population comme nouvelles sources de profit pour des secteurs variés de l'économie.
(2) Compositeut, essayiste et chercheur en informatique américain, il est considéré comme un des pionniers de la réalité virtualité. Il est également un critique virulent des réseaux sociaux.
(3) Professeur de statistiques, d'informatique, de design de l'information et d'économie politique à l'Université Yale.
(4) Un peu comme l'écrivain Frédéric Beigbeder qui dénonçait un système marketing dans un essai (99 francs) dont la commercialisation était permise par ce même système...
17:46 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : the social dilemma, netflix, jeff orlowski, réseaux sociaux, médias, internet, dérive des réseaux sociaux
17/11/2020
Active Measures
Diffusé il y a deux ans de cela, ce documentaire est le premier à mettre en avant une interférence politique russe dans la campagne présidentielle américaine de 2016 en faveur de l'ancien président US Donald Trump. Le raisonnement part du principe des "mesures actives" (nom du documentaire) qui sont les "techniques de guerre politique conduite par les services de sécurité en URSS puis en Fédération de Russie pour influencer le cours des événements mondiaux, en plus de collecter du renseignement" (Chritopher Andrew, Vasili Mitrokhin, The Mitrokhin Archive. The KGB in Europe and The West, 2018). Elles incluent la désinformation, la propagande, la contrefaçon de documents officiels...etc.
Le journaliste Jack Bryan fonde son raisonnement en démontrant les liens entre Trump et les milieux "économico-mafieux" russes au début des années 2000 après que le business de l'ex-locataire de la Maison-Blanche se soit trouvé dans le rouge durant les années 1990 (notamment des propriétés foncières acquises par l'oligarque russe David Bogatine). Que le documentaire montre à travers la collusion entre milieux économiques et sphère politique que l'élection de Trump n'était pas honnête (et que ce dernier baigne dans l'illégalité) est une bonne chose. On le savait déjà mais le réalisateur a le mérite d'établir pour le grand public tellement ignorant un récit pertinent et des images d'archives appuyant son propos principal. La pertinence est appuyée par l'expertise de nombreux interviewés (sauf que la plupart, politiques, hauts fonctionnaires, politologues (etc...) sont tous quasiment américains...).
Par contre, beaucoup moins intéressant et crédible est le discours complotiste, si nous partons du principe que cette vision des choses - synonyme de paresse intellectuelle - constitue une thèse selon laquelle des événements seraient secrètement planifiés par un groupe d'individus dans le but de conquérir politiquement et de dominer économiquement le monde. Discours complotiste, propagandiste et largement manichéen (une marque de fabrique purement américaine). On a un problème avec cette vision largement véhiculée par une certaine élite politique américaine qui consiste à dire "les politiques russes sont mauvais, ils complotent contre nous et déstabilisent des gouvernements". Le constat n'est probablement pas faux (et cette interférence russe a d'ailleurs inspiré la saison 7 de la série Homeland (2011-2020) et notamment l'épisode 5 intitulé "Active Measures"...) mais les autorités américaines ont fait de même, tout au long du XXème siècle par exemple, n'hésitant pas à déstabiliser en Amérique Latine des gouvernements démocratiquement élus et à financer des coups d'Etat.
Que le documentaire soit anti-russe et à charge n'est pas un problème en soi. Le souci est l'hypocrisie (ou simplement la myopie) du raisonnement. Plus intéressant est le fait que le documentaire nous enjoint à réflechir sur un thème récent, celui du lien entre cyberespace et souveraineté des Etats, que posait déjà un autre documentaire , traitant de cyberguerre, Zero Days (2016). J N
Active Measures (Jack Bryan, USA, 2018, 109 min)
09:26 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : active mesures, jack bryan, donald trump, vladimir poutine, etats-unis, russie, urss, union soviétique, campagne présidentielle américaine de 2016, élection présidentielle américaine de 2016, mesures actives, kgb, politique, complot, théorie du complot
09/11/2020
13th
Pas sûr que l'actuelle passation de pouvoir aux Etats-Unis y change grand chose mais il est intéressant quand même de revenir sur ce documentaire. En effet, celui-ci (dont le titre fait référence au 13ème amendement de la Constitution américaine, qui abolissait l'esclavage) dépeint à charge les liens entre le pouvoir républicain (dont Donald Trump est actuellement la grande figure perdante) et l'incarcération de masse aux Etats-Unis, un débat récurrent qui semble oublié par la politique américaine, qu'elle soit démocrate ou républicaine.
Le documentaire démarre avec une statistique édifiante. Si les Etats-Unis représentent 5% de la population mondiale, ils concentrent par contre 25% de la population carcérale mondiale. La réalisatrice soutient qu'aux Etats-Unis, l'esclavage s'est perpétué sous d'autres formes, plus pernicieuses et implicites. Et depuis la fin du XXème siècle, nous assistons à un phénomène d'incarcération de masse (ou "hyper-incarcération"), résultat de nouvelles lois très strictes, du moins "illégitimes", comme la guerre contre la drogue ou la privatisation du droit de vote de la population afro-américaine. Or ceux qui sont victimes de ces lois sont les populations de couleur (latinos, blacks)...
Dans le même temps, le fonctionnement de l'univers carcéral est examiné. Les centres pénitentiaires sont devenus des machines à sous pour les entreprises privées qui les financent. Or, le secteur privé est très influent auprès de la sphère politique (notamment républicaine) lorsqu'il s'agit de voter des lois liées au code pénal. Coup double : Ava DuVernay dénonce à la fois la collusion entre business et univers carcéral et le processus de criminalisation volontaire des populations de seconde zone. Le tout forme un magnifique triangle où les liens entre société, économie et politique sont inextricables, soit faire de l'argent, se maintenir au pouvoir, et détruire des composantes de la société américaine, qui ont toujours été traitées comme des peuples "colonisés", après que les peuples autochtones (les Amérindiens) furent génocidés.
C'est se rappeler ici que la recherche permanente du profit (coûte que coûte), le conflit d'intérêt et la domination politique d'une élite blanche, protestante, riche et raciste constituent la pierre angulaire du système américain. Et se rappeler également que les Etats-Unis (on ne le dit pas assez), "the land of freedom", sont encore et toujours une des sociétés les plus inégalitaires au monde. Efficace, rapide (01h40) et instructive, cette réflexion qui ne se veut pas ambitieuse mais cherche à éveiller les esprits, est un tour de force. Comme nous l'avons dit, pas sûr que cela change grand chose. Mais à voir quand même. J N
13th (Ava DuVernay, 2016, USA, 100 min)
- Nominé (meilleur documentaire) - Oscars 2017
- Présenté - New York Film Festival 2016
- Meilleur documentaire - BAFTA Awards 2017
- 4 prix - Primetime Emmy Awards 2017
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11:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : univers carcéral américain, 13th, ava duvernay, conflit d'intérêt, etats-unis, netflix, population afro-américaine, blacks, latinos, esclavage
01/08/2020
De Gaulle
Il y a certaines grandes figures politiques qui ne meurent jamais, semble-t-il, témoin les productions filmiques qu'on leur consacre encore. Il faut reconnaître ici la grandeur du personnage - qu'on apprécie ou pas le contenu de sa carrière politique post-Seconde guerre mondiale et sa gestion de la politique intérieure de la France -, sans qui la France aurait été synonyme uniquement d'infamie, de lâcheté et de déshonneur (la collaboration d'Etat était passée par là).
Contrairement donc à ce que le titre du film aurait pu indiquer, De Gaulle n'est pas un biopic mais un retour sur une période cruciale de la France (et de celui qui deviendra par la suite le premier président de la Vème République), à l'instar de Darkest Hour (2017) pour Winston Churchill. Il y a d'ailleurs de grandes similitudes entre les deux scénarios qui se situent de même à la même période - mai-juin 1940 -, marquée par la fin de la Drôle de guerre, les défaites militaires de la France et du Royaume-Uni (face à l'Allemagne nazie), et l'érosion des gouvernements de ces nations.
Tandis que Churchill, fraîchement nommé Premier ministre, lutte contre ses adversaires politiques (notamment Lord Halifax) afin d'imposer son projet politique, avec au passage une relation difficile avec le roi Georges VI, de Gaulle doit d'abord batailler contre la frange défaitiste du gouvernement de Paul Reynaud, notamment Philippe Pétain, puis fuir pour l'Angleterre où il doit convaincre ce même Chruchill (avec qui sa relation est tout aussi compliquée) de reconnaître la légitimité politique de la France libre.
A une différence près, De Gaulle alterne entre les missions du colonel puis général à Paris, Bordeaux et Londres, l'exode de sa femme Yvonne vers la Bretagne puis l'Angleterre, et des séquences de famille. C'est ce parallèle entre les péripéties dramatiques de deux êtres à la fois fragiles et solides mentalement, auquel est adjoint des scènes avec Anne, la fille du couple (atteinte de trisomie 21) qui constitue un dépassement subtil d'un biopic classique.
Très pertinent historiquement, ce long-métrage a l'intelligence de ne pas partir dans des longueurs inutiles et de cerner avec beaucoup d'humanisme et de délicatesse le moment le plus grave de la vie de Charles de Gaulle. Sur le point de perdre sa patrie et sa famille, celui-ci parvient dans l'adversité à faire front. Hormis un Lambert Wilson qui surjoue par moments (qui n'est pas sans rappeler Jean Dujardin interprétant le colonel Picquart dans J'accuse), l'interprétation impeccable des acteurs renforce l'intelligence émotionnelle du récit. Au final, nous regretterons quelque peu un traitement un peu lisse du principal protagoniste. Les grandes hommes politiques ne sont, en effet, jamais dépourvus d'une certaine complexité. J. N
De Gaulle (Gabriel Le Bomin, 2020, France, 108 min)
Cast : Lambert Wilson, Isabelle Carré, Olivier Gourmet, Tim Hudson, Gilles Cohen, Philippe Laudenbach.
18:40 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : de gaulle, seconde guerre mondiale, lambert wilson, isabelle carré, olivier gourmet, drôle de guerre, churchill, angleterre, royaume-uni, france libre, résistance française
31/07/2020
Kusama Infinity
Après Erwin Blumenfeld, un autre documentaire court permettant de cerner l'oeuvre (et la personnalité) d'une grande artiste, en l'occurence la japonaise Yayoi Kusama. Peintre, sculptrice et écrivaine, celle-ci intégrera les mouvements art abstrait et pop art, à la suite de son installation à New York durant les années 1960. Son départ pour l'Amérique était d'ailleurs inéluctable vu qu'il était très rare dans un Japon traditionnel qu'une femme entame une carrière artistique. Sans entrer dans un long récit sur cette artiste hors-norme et active plus d'un demi-siècle, nous retiendrons deux éléments qui ont grandement influencé son parcours et l'essence de son oeuvre. C'est d'abord le poids du carcan familial et d'une société patriarcale qui pousse l'artiste à exprimer à travers son oeuvre un message anti-machiste et subversif. Kusama affirma:
"Au beau milieu d’une famille aussi toxique que celle-ci, la seule chose pour laquelle je vivais était mon art. Et comme je manquais de sens commun dans mon rapport aux gens et à la société, les conflits avec mon entourage se sont aggravés plus encore. La pression mentale et mon anxiété naturelle se faisaient de plus en plus présentes à mesure que les critiques me visaient, et l’avenir commença à me paraître sombre et répugnant".
Ensuite, Kusama est "victime" d'hallucinations dès l'âge de dix ans. Sa production artistique constituera par conséquent une sorte de catharsis, l'ensemble de ses productions lui servant d'exutoire, et lui permettant de sortir de sa névrose, de ses angoisses. Dans ce sens, elle affirmera qu'elle fait de "l'art psychosomatique". Son concept central qui transparaît à travers ses productions est celui de la "self-obliteration", soit la perte d'individualité des êtres humains (qui se rapproche, à notre sens, des thèmes littéraires développés par Franz Kafka). Kusama affirme dans ce sens que "nous sommes plus que des misérables insectes dans un univers incroyablement vaste".
Il serait sans doute judicieux de se replonger dans l'oeuvre de Kusama (consacrée par des restrospectives durant les années 2010 en Angleterre, aux Etats-Unis et en France), à l'heure où les humains sont de plus en plus désemparés dans un monde cruel, injuste et qui va très (trop?) vite. J N
Kusama: Infinity (Heather Lenz, 2018, USA, 76 min)
14:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : kusama infinity, japon, kusama, yayoi kusama, self-obliteration, art abstrait, new york, pop art, perte d'individualité, art, peinture, sculpture, etats-unis, heather lenz