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31/07/2020

Kusama Infinity

kusama infinity,japon,kusama,yayoi kusamaAprès Erwin Blumenfeld, un autre documentaire court permettant de cerner l'oeuvre (et la personnalité) d'une grande artiste, en l'occurence la japonaise Yayoi Kusama. Peintre, sculptrice et écrivaine, celle-ci intégrera les mouvements art abstrait et pop art, à la suite de son installation à New York durant les années 1960. Son départ pour l'Amérique était d'ailleurs inéluctable vu qu'il était très rare dans un Japon traditionnel qu'une femme entame une carrière artistique. Sans entrer dans un long récit sur cette artiste hors-norme et active plus d'un demi-siècle, nous retiendrons deux éléments qui ont grandement influencé son parcours et l'essence de son oeuvre. C'est d'abord le poids du carcan familial et d'une société patriarcale qui pousse l'artiste à exprimer à travers son oeuvre un message anti-machiste et subversif. Kusama affirma: 

"Au beau milieu d’une famille aussi toxique que celle-ci, la seule chose pour laquelle je vivais était mon art. Et comme je manquais de sens commun dans mon rapport aux gens et à la société, les conflits avec mon entourage se sont aggravés plus encore. La pression mentale et mon anxiété naturelle se faisaient de plus en plus présentes à mesure que les critiques me visaient, et l’avenir commença à me paraître sombre et répugnant".

Ensuite, Kusama est "victime" d'hallucinations dès l'âge de dix ans. Sa production artistique constituera par conséquent une sorte de catharsis, l'ensemble de ses productions lui servant d'exutoire, et lui permettant de sortir de sa névrose, de ses angoisses. Dans ce sens, elle affirmera qu'elle fait de "l'art psychosomatique". Son concept central qui transparaît à travers ses productions est celui de la "self-obliteration", soit la perte d'individualité des êtres humains (qui se rapproche, à notre sens, des thèmes littéraires développés par Franz Kafka). Kusama affirme dans ce sens que "nous sommes plus que des misérables insectes dans un univers incroyablement vaste".

Il serait sans doute judicieux de se replonger dans l'oeuvre de Kusama (consacrée par des restrospectives durant les années 2010 en Angleterre, aux Etats-Unis et en France), à l'heure où les humains sont de plus en plus désemparés dans un monde cruel, injuste et qui va très (trop?) vite. J N

Kusama: Infinity (Heather Lenz, 2018, USA, 76 min)

21/07/2020

Greyhound

u-boat,etats-unis,allemagne nazie,allemagne,tom hanks,bataille de l'atlantique,stephen graham,seconde guerre mondiale,sous-marin,aaron schneiderNous sommes quelque peu étonnés de constater qu'en 2020, il y a encore des productions cinématographiques dépeignant à la fois l'armée américaine comme un parangon de l'ethique au combat et des règles de la guerre, et l'armée allemande (en l'occurence ici, la Kriegsmarine) comme l'émanation totale de satan (et autres repoussoirs). Greyhound devait initialement sortir en salles le 12 juillet 2020 mais cette date fut repoussée en raison de la pandémie de Covid-19. Entretemps, Apple rachetait les droits à Sony Pictures et diffusait le film le 10 juillet dernier sur son service de streaming Apple TV+. Bien s'en est fallu car ceux qui se seraient rendu au cinéma en auraient eu pour leur argent tant cette production annoncée prometteuse ne valait pas le détour. 

A la manoeuvre, Tom Hanks en capitaine de frégate. Décidément, l'acteur fétiche de Spielberg n'en finit plus de jouer les héros (Captain Philips, Bridge of Spies, Sully...etc), cette espèce tant convoitée par le public américain. Cette histoire fictive se déroule en 1942, soit au début de l'intervention américaine dans le second conflit mondial (1). Dans le contexte de la Bataille de l'Atlantique (2), l'USS Keeling (nom de code radio Greyhound), escortant un groupe de navires, doit rejoindre les côtes anglaises. Sur le chemin et en pleine tempête, il doit affronter les terribles U-Boot allemands, immortalisés par le film culte de Wolfgang Petersen (3) et dépeints en Occident comme d'affreuses créatures depuis le torpillage du Lusitania en 1916. Ce chassé-croisé mettra donc aux prises de braves et irréprochables soldats américains et des soldats allemands abjects ("nous vous tuerons tous ainsi que vos femmes", un loup menaçant dessiné sur un sous-marin allemand), avec pour résultats quatre sous-marins coulés par un destroyer dirigé par un novice (excusez du peu) et qui ne perdra que quelques hommes...

C'est ce scénario pauvre, archétype du cinéma américain bien-pensant, qui est venu s'intercaler entre deux prières du capitaine courage (autre célèbre cliché). L'ensemble se termine fort logiquement par un hommage aux 72200 "âmes perdues pour toujours"  dans la Bataille de l'Atlantique (3500 navires coulés). Qu'avons-nous donc appris ou découvert hormis des séquences technico-tactiques pertinentes et de beaux plans guerriers? Pas grand chose. J. N

Greyhound (Aaron Schneider, 2020, USA, 90 min)

Cast: Tom Hanks, Stephen Graham, Elisabeth Shue, Matt Helm, Craig Tate, Rob Morgan, Travis Quentin.

 

(1) L'attaque japonaise contre la base américaine de Pearl Harbor survient le 7 décembre 1941.

(2) L'expression dont on doit la parenté à Winston Churchill désigne l'ensemble des combats qui ont eu lieu dans l'Atalntique-nord durant la Seconde guerre mondiale, du 3 septembre 1939 au 8 mai 1945.

(3) Das Boot (1981).

30/04/2020

Honeyland

honeyland,macédoine du nord,hatidze muratova,abeilles,environnement,destruction de l'environnement,consumérisme,écosystème,système économique néolibéralUn très beau documentaire qui fut nommé aux oscars en début d'année. Il suit Hatidze Muratova, une des dernières personnes à récolter le miel de manière traditionnelle, dans les montagnes désertiques de Macédoine du Nord (elle habite le village minuscule de Bekirlija dans le centre du pays). D'un grand coeur, Hatidze récolte le miel juste de quoi survivre et maintenir sa mère malade en vie. Elle fait toujours en sorte de laisser du miel aux abeilles. Mais voilà qu'une famille de nomades vient s'installer tout près de sa maison et met en péril - sans aucun scrupule - aussi bien sa survie que celle des abeilles.

Mis à part une très belle photographie (magnifiques paysages) et une mise en scène/scénario singuliers (la structure narrative - appelée "fly on the wall" et n'utilisant pas les interviews et la voix off - donne l'impression qu'il s'agit d'une fiction), le traitement de la question des abeilles (traité spécifiquement dans le documentaire More than Honey, 2012) est intéressant dans le sens où il s'élargit de manière subtile à de plus amples questionnements. Le souci de Hatidze de préserver ces abeilles avec qui elle entretient une relation spéciale et a contrario les méthodes maladroites, sans connaissance aucune, et rapaces de ses voisins indélicats invitent à réfléchir sérieusement à la destruction de l'environnement et à la lente disparition de biodiversité.

Comment trouver un équilibre entre préservation de l'écosystème (Hatidze) et consumérisme (les voisins nomades) ? C'est toute la question qui se pose. Hélas, dans un monde régi par le néolibéralisme économique, l'exploitation outrancière des ressources naturelles et le thème sacro-saint de la croissance, c'est la seconde tendance qui l'emporte. A moins que la crise socio-économique actuelle engendrée par la pandémie du Coronavirus-Covid-19 (qui au moment où nous écrivons ces lignes a déjà causé 3.2 millions de contaminations dont plus de 228.000 morts) ne poussent les dirigeants de cette planète à revoir notre manière de vivre mais là encore, rien n'est sûr... Un documentaire magnifique à voir absolument. J N

Honeyland (Tamara Kotevska, Ljubomir Stefanov, Macédoine du Nord, 2019, 89 min)

- 2 nominations (meilleur documentaire et meilleur film international) - Oscars 2020

- Meilleur documentaire - Festival d'Athènes 2020

- Meilleur documentaire - Boston Society of Film Critics Awards 2019

- Meilleur documentaire - DocsBarcelona 2019

- Meilleur documentaire - Festival de Sao Paulo 2019

- Prix de la cinématographie, prix spécial du Jury et Grand prix du Jury - Festival de Sundance 2019

- Meilleur documentaire - Vancouver Film Critics Circle - 2019

27/04/2020

Going clear: Scientology and the Prison of Belief

going clear,alex gibney,lawrence wright,going clear:scientology,hollywood and the prison of belief,john travolta,tom cruise,scientologie,eglise de la scientologieIl fallait bien que quelqu'un se lance dans un film documentaire sur la scientologie. C'est ce qu'a effectué en 2015 Alex Gibney. Le spécialiste des affaires louches et/ou illicites, entre attaque cybernétique américo-israélienne contre l'Iran, le scandale Volkswagen (le premier épisode de la série documentaire Dirty Money), Lance Armstrong et le dopage, Wikileaks, les abus de l'armée américaine en Afghanistan (1) et bien d'autres (2), a donc osé raconter et critiquer la puissante et secrète Eglise de scientologie, affirmant qu'il s'est intéressé à la scientologie car au-delà de la fascination qu'elle exerçait, "elle faisait faire à des gens des choses qu'elles n'auraient jamais faites si elles n'avaient pas adhéré au mouvement".

going clear,alex gibney,lawrence wright,going clear:scientology,hollywood and the prison of belief,john travolta,tom cruise,scientologie,eglise de la scientologieLe documentaire est une adaptation du livre de Lawrence Wright, Going Clear: Scientology, Hollywood and the Prison of Belief (2013). Si les titres diffèrent, c'est probablement du au fait que dans le documentaire, il n'y a pas d'accent mis sur les relations entre la scientologie et certaines stars notoires de Hollywood, même si celles-ci sont abordées rapidement (John Travolta, Tom Cruise). Deux dimensions sont abordées ici : une genèse rapide et claire de la scientologie, à laquelle est - logiquement - greffée une biographie de son fondateur L. Ron Hubbard (1911-1986), et de nombreux témoignages d'anciens membres de la scientologie, narrant leurs sessions de travail ainsi que l'exploitation psychologique et financière dont ils furent victimes.

going clear,alex gibney,lawrence wright,going clear:scientology,hollywood and the prison of belief,john travolta,tom cruise,scientologie,eglise de la scientologieAu vu de la réputation (et de l'historique) de harcèlement et de secret quasi-absolu qui entoure la scientologie, il faut donc saluer ce travail qui nous éclaire quelque peu sur ce mouvement religieux classé comme secte (3) et imperméable à toute forme de critique. Gibney a d'ailleurs essuyé le refus de nombreux réseaux de télévision quant à une participation à la production, ces derniers voulant éviter des démêlés judiciaires avec la scientologie. Principal producteur, la chaîne HBO s'était d'ailleurs entourée d'une armée d'avocats comme anticipation d'une éventuelle bataille judiciaire. La scientologie a en fait riposté par une campagne de dénigrement du documentaire via la presse traditionnelle (New York Times et Los Angeles Times) et internet. Les producteurs et témoins du films ont également reçu des menaces physiques et morales.

Largement salué par la critique, Going Clear est considéré par Slate comme un "brillant exposé sur une organisation et une religion qui a trop longtemps été enveloppée de mystère", tandis que le Hollywood Reporter estime qu'il représente "une intervention courageuse et opportune dans les débats sur cette organisation qui couvent depuis un certain temps". S'il avance les côté positifs, le très sérieux The Guardian regrette en même temps le manque de participation de la secte, ce qui rend le documentaire "un peu partial".

going clear,alex gibney,lawrence wright,going clear:scientology,hollywood and the prison of belief,john travolta,tom cruise,scientologie,eglise de la scientologie,hbo,l. ron hubbard,hubbardIl est vrai que l'absence de prise de parole de membres actuels (Gibney l'a tenté mais on lui a refusé de parler aux personnes en question lui proposant d'autres membres dont les témoignages n'auraient - semble-t-il - pas apporté grand chose) constitue un bémol puisqu'il ne permet pas d'avoir une vision globale de ce qu'est la scientologie. Mais en même temps, ce fait stigmatise, à notre sens, son essence-même : une supercherie (à moins de considérer que toutes les religions le sont mais cela constitue un autre débat).

L'essentiel est là : on comprend qu'à la base, la scientologie n'est pas une religion (Hubbard l'a enregistré comme tel afin d'éviter les impôts et on constate, d'une part, que les abus qu'a commis la scientologie sont graves (elle a presque détruit la vie de certaines personnes), et d'autre part, à quel point le lavage de cerveau (contre rémunération) est facile. J N

 

Going Clear: Scientology and the Prison of Belief (Alex Gibney, 2015, 120 min)

- Présenté - Festival de Sundance 2015

- Meilleur documentaire - Primetime Emmy Awards 2015

- Meilleur réalisateur - Primetime Emmy Awards 2015

- Meilleure écriture - Primetime Emmy Awards 2015

- Meilleur documentaire - Las Vegas Film Critics Society Awards 2015

- Meilleure production - Peabody Awards 2016

- Meilleur scénario de documentaire - Writers Guild of America - 2016

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(1) Relatant la torture et mort d'un prisonnier dans la prison militaire de Bagram, tenue par l'armée américaine, le documentaire Taxi for the Dark Side (2007) a obtenu l'oscar du meilleur documentaire.

(2) Il est le réalisateur, tout récemment, de la série The Innocent Files (Netflix).

(3) Une secte est considérée comme un groupe ou organisation, souvent à caractère religieux, dont les croyances ou les comportements sont jugés obscurs, inquiétants ou nocifs par le reste de la société.

25/04/2020

The Cave

the cave,ghouta,syrie,firas fayyad,danemark,oscars 2020,gaz sarin,damas,amani ballourIl est sans aucun doute très noble - à l'heure du Covid-19 - de mettre en avant le travail très ingrat des soignants et de porter un hommage à ces personnes se trouvant en première ligne d'une très possible contamination. Mais il est également des places dans le monde où les soignant(e)s travaillent dans des conditions encore plus dures et auxquelles peu de gens s'intéressent (ou ne veulent s'intéresser) car c'est bien connu, pour le monde occidental, certains humains (ou morts) valent plus que d'autres... C'est à ces soignantes que s'est intéressé le réalisateur syrien Firas Fayyad en suivant plus particulièrement le docteur (et militante féministe) Amani Ballour qui dirige un hôpital de fortune dans les souterrains (d'où le titre du documentaire) de la partie est de la région de Ghouta, dans les faubourgs de Damas. C'est rappeler ici que la Ghouta, tenue alors par l'armée libre syrienne, avait subi le 21 août 2013 un bombardement chimique au gaz sarin de la part du gouvernement du syrien, et que s'est tenu de 2012 à 2018 la tristement célèbre Bataille de la Ghouta orientale (victoire des forces loyalistes ; 15.000 à 20.000 civils tués).

the cave,ghouta,syrie,firas fayyad,danemark,oscars 2020,gaz sarin,damas,amani ballourDéjà acclamé par la critique pour son précédent documentaire (Les derniers hommes d'Alep, 2017), Firas Fayyad a voulu montrer à travers son documentaire la guerre mais surtout ce que vivent les civils. "Le film devrait mettre les gens dans une position inconfortable pour regarder la terrible réalité qui nous entoure", a-t-il déclaré lors d'une interview. Rendons ici hommage à ces femmes qui risquent leur vie tous les jours mais qui plus est subissent sexisme et harcèlement de la part de l'entourage masculin tout azimut, dans une société arriérée.

A l'instar de Florent Marcie qui a filmé sous les bombes à Grozny, Fayyad et son équipe ont tourné à Ghouta sous une pluie régulière de bombes et alors que les victimes sont emmenées aux soins. Rien que pour cette prouesse mais aussi du fait que Fayyad risque continuellement sa vie (il a été torturé par les autorités syriennes pour ses précédents documentaires sur la Syrie), le documentaire aurait du recevoir l'oscar 2020 du meilleur documentaire. Mais force est de constater que cette récompense est (trop) souvent attribuée à un documentaire américain. En effet, sur les vingt dernières années (2001-2020), elle n'a échappé que trois fois aux Etats-Unis... J N 

The Cave (Firas Fayyad, Syrie/Danemark, 2019, 107 min)

- 1 nomination (meilleur documentaire) - Oscars 2020

- Présenté - Festival international de Toronto 2019

- Meilleur documentaire - Danish Film Awards 2020

- Meilleur documentaire - Festival international de Cork 2019

- Meilleur documentaire - Festival international de Leeds 2019

- Meilleur documentaire - Festival international de Valladolid 2019

- Documentaire le plus dérangeant - Ramdam festival de Tournai 2020

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