27/04/2020
Going clear: Scientology and the Prison of Belief
Il fallait bien que quelqu'un se lance dans un film documentaire sur la scientologie. C'est ce qu'a effectué en 2015 Alex Gibney. Le spécialiste des affaires louches et/ou illicites, entre attaque cybernétique américo-israélienne contre l'Iran, le scandale Volkswagen (le premier épisode de la série documentaire Dirty Money), Lance Armstrong et le dopage, Wikileaks, les abus de l'armée américaine en Afghanistan (1) et bien d'autres (2), a donc osé raconter et critiquer la puissante et secrète Eglise de scientologie, affirmant qu'il s'est intéressé à la scientologie car au-delà de la fascination qu'elle exerçait, "elle faisait faire à des gens des choses qu'elles n'auraient jamais faites si elles n'avaient pas adhéré au mouvement".
Le documentaire est une adaptation du livre de Lawrence Wright, Going Clear: Scientology, Hollywood and the Prison of Belief (2013). Si les titres diffèrent, c'est probablement du au fait que dans le documentaire, il n'y a pas d'accent mis sur les relations entre la scientologie et certaines stars notoires de Hollywood, même si celles-ci sont abordées rapidement (John Travolta, Tom Cruise). Deux dimensions sont abordées ici : une genèse rapide et claire de la scientologie, à laquelle est - logiquement - greffée une biographie de son fondateur L. Ron Hubbard (1911-1986), et de nombreux témoignages d'anciens membres de la scientologie, narrant leurs sessions de travail ainsi que l'exploitation psychologique et financière dont ils furent victimes.
Au vu de la réputation (et de l'historique) de harcèlement et de secret quasi-absolu qui entoure la scientologie, il faut donc saluer ce travail qui nous éclaire quelque peu sur ce mouvement religieux classé comme secte (3) et imperméable à toute forme de critique. Gibney a d'ailleurs essuyé le refus de nombreux réseaux de télévision quant à une participation à la production, ces derniers voulant éviter des démêlés judiciaires avec la scientologie. Principal producteur, la chaîne HBO s'était d'ailleurs entourée d'une armée d'avocats comme anticipation d'une éventuelle bataille judiciaire. La scientologie a en fait riposté par une campagne de dénigrement du documentaire via la presse traditionnelle (New York Times et Los Angeles Times) et internet. Les producteurs et témoins du films ont également reçu des menaces physiques et morales.
Largement salué par la critique, Going Clear est considéré par Slate comme un "brillant exposé sur une organisation et une religion qui a trop longtemps été enveloppée de mystère", tandis que le Hollywood Reporter estime qu'il représente "une intervention courageuse et opportune dans les débats sur cette organisation qui couvent depuis un certain temps". S'il avance les côté positifs, le très sérieux The Guardian regrette en même temps le manque de participation de la secte, ce qui rend le documentaire "un peu partial".
Il est vrai que l'absence de prise de parole de membres actuels (Gibney l'a tenté mais on lui a refusé de parler aux personnes en question lui proposant d'autres membres dont les témoignages n'auraient - semble-t-il - pas apporté grand chose) constitue un bémol puisqu'il ne permet pas d'avoir une vision globale de ce qu'est la scientologie. Mais en même temps, ce fait stigmatise, à notre sens, son essence-même : une supercherie (à moins de considérer que toutes les religions le sont mais cela constitue un autre débat).
L'essentiel est là : on comprend qu'à la base, la scientologie n'est pas une religion (Hubbard l'a enregistré comme tel afin d'éviter les impôts et on constate, d'une part, que les abus qu'a commis la scientologie sont graves (elle a presque détruit la vie de certaines personnes), et d'autre part, à quel point le lavage de cerveau (contre rémunération) est facile. J N
Going Clear: Scientology and the Prison of Belief (Alex Gibney, 2015, 120 min)
- Présenté - Festival de Sundance 2015
- Meilleur documentaire - Primetime Emmy Awards 2015
- Meilleur réalisateur - Primetime Emmy Awards 2015
- Meilleure écriture - Primetime Emmy Awards 2015
- Meilleur documentaire - Las Vegas Film Critics Society Awards 2015
- Meilleure production - Peabody Awards 2016
- Meilleur scénario de documentaire - Writers Guild of America - 2016
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(1) Relatant la torture et mort d'un prisonnier dans la prison militaire de Bagram, tenue par l'armée américaine, le documentaire Taxi for the Dark Side (2007) a obtenu l'oscar du meilleur documentaire.
(2) Il est le réalisateur, tout récemment, de la série The Innocent Files (Netflix).
(3) Une secte est considérée comme un groupe ou organisation, souvent à caractère religieux, dont les croyances ou les comportements sont jugés obscurs, inquiétants ou nocifs par le reste de la société.
09:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : going clear, alex gibney, lawrence wright, going clear:scientology, hollywood and the prison of belief, john travolta, tom cruise, scientologie, eglise de la scientologie, hbo, l. ron hubbard, hubbard
25/04/2020
The Cave
Il est sans aucun doute très noble - à l'heure du Covid-19 - de mettre en avant le travail très ingrat des soignants et de porter un hommage à ces personnes se trouvant en première ligne d'une très possible contamination. Mais il est également des places dans le monde où les soignant(e)s travaillent dans des conditions encore plus dures et auxquelles peu de gens s'intéressent (ou ne veulent s'intéresser) car c'est bien connu, pour le monde occidental, certains humains (ou morts) valent plus que d'autres... C'est à ces soignantes que s'est intéressé le réalisateur syrien Firas Fayyad en suivant plus particulièrement le docteur (et militante féministe) Amani Ballour qui dirige un hôpital de fortune dans les souterrains (d'où le titre du documentaire) de la partie est de la région de Ghouta, dans les faubourgs de Damas. C'est rappeler ici que la Ghouta, tenue alors par l'armée libre syrienne, avait subi le 21 août 2013 un bombardement chimique au gaz sarin de la part du gouvernement du syrien, et que s'est tenu de 2012 à 2018 la tristement célèbre Bataille de la Ghouta orientale (victoire des forces loyalistes ; 15.000 à 20.000 civils tués).
Déjà acclamé par la critique pour son précédent documentaire (Les derniers hommes d'Alep, 2017), Firas Fayyad a voulu montrer à travers son documentaire la guerre mais surtout ce que vivent les civils. "Le film devrait mettre les gens dans une position inconfortable pour regarder la terrible réalité qui nous entoure", a-t-il déclaré lors d'une interview. Rendons ici hommage à ces femmes qui risquent leur vie tous les jours mais qui plus est subissent sexisme et harcèlement de la part de l'entourage masculin tout azimut, dans une société arriérée.
A l'instar de Florent Marcie qui a filmé sous les bombes à Grozny, Fayyad et son équipe ont tourné à Ghouta sous une pluie régulière de bombes et alors que les victimes sont emmenées aux soins. Rien que pour cette prouesse mais aussi du fait que Fayyad risque continuellement sa vie (il a été torturé par les autorités syriennes pour ses précédents documentaires sur la Syrie), le documentaire aurait du recevoir l'oscar 2020 du meilleur documentaire. Mais force est de constater que cette récompense est (trop) souvent attribuée à un documentaire américain. En effet, sur les vingt dernières années (2001-2020), elle n'a échappé que trois fois aux Etats-Unis... J N
The Cave (Firas Fayyad, Syrie/Danemark, 2019, 107 min)
- 1 nomination (meilleur documentaire) - Oscars 2020
- Présenté - Festival international de Toronto 2019
- Meilleur documentaire - Danish Film Awards 2020
- Meilleur documentaire - Festival international de Cork 2019
- Meilleur documentaire - Festival international de Leeds 2019
- Meilleur documentaire - Festival international de Valladolid 2019
- Documentaire le plus dérangeant - Ramdam festival de Tournai 2020
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09:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : the cave, ghouta, syrie, firas fayyad, danemark, oscars 2020, gaz sarin, damas, amani ballour, coronavirus, covid-19
21/04/2020
The Man Who Shot Beautiful Women
Nous apprécions particulièrement tomber sur des documentaires d'une durée d'une heure (le temps manque pour regarder films/documentaires de deux heures) qui permettent de comprendre les grandes lignes d'un sujet ou de saisir un personnage, d'autant plus qu'il s'agit de domaines que nous ne connaissons que très peu. Il s'agit ici de celui de la photographie. Ce documentaire de BBC4 est un biopic rapide d'Erwin Blumenfeld (Berlin, 1897 - Rome, 1969), photographe associé au mouvement dadaïste.
Nous noterons le parcours tortueux et fascinant d'un artiste avant-gardiste (notamment ses célèbres photographies de femmes nues à une époque - les années 1930 - encore très conservatrice à ce niveau) qui aura réussi l'exploit d'avoir survécu aux deux guerres mondiales. Durant la première, il était ambulancier à la frontière germano-française. Durant la seconde, vivant en France (il émigre des Pays-bas où il lui était impossible de vivre de son travail et de se faire un nom), il est emprisonné au début de la guerre, étant citoyen allemand. Lorsque la France est vassalisée par l'Allemagne (régime de Vichy), il est contraint de fuir l'Europe (étant de confession juive) et parvient à rallier les Etats-Unis. C'est là où il acquier la notoriété, réalisant de nombreuses couvertures pour les magazines Harper's Bazaar (1941-1944) et Vogue (1944-1955), notamment sa célèbre photo de 1949, L’œil de biche (ci-contre).
Blumenfled effectuera également des commandes publicitaires très bien rémunérées pour l'industrie cosmétique. Et c'est probablement l'élément le plus intéressant qui ressort de sa vie : ce tiraillement constant entre réaliser de la photographie artistique et faire ce qui rapporte de l'argent. Ce documentaire coïncide avec une exposition consacrée à Blumenfeld au Jeu de Paume (octobre 2013 - janvier 2014). Lors de celle-ci, le commissaire Ute Eskildsen affirma : "son travail éditorial était radical, expérimental, comme s'il cherchait sans arrêt à repousser les limites de la photographie en couleur".
J N
The Man Who Shot Beautiful Women (Nick Watson, Royaume-Uni, 2013, 59 min)
15:00 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : erwin blumenfeld, photographie, jeu de paume, dadaïsme, the man who shot beautiful women, bbc4, bbc 4, nick watson
29/03/2020
Lanceurs d'alerte au cinéma
C'est en pleine pandémie de coronavirus (avec un chiffre alarmant de plus de 660.000 personnes atteintes dont 30.000 décédées) que nous publions finalement cette note sur les lanceurs d'alerte. Le virus dévastateur, apparu dans la ville chinoise de Wuhan, a également son lot de lanceurs d'alerte, qui, comme souvent dans ces situations-là, n'ont pas été écoutés par des autorités supérieures incompétentes. Parmi eux, un médecin français qui sonne l'alerte dès 2015, Li Wenliang, premier médecin chinois à tenter de lancer l'alerte sur l'irruption du coronavirus mais censuré par le pouvoir chinois (il décède du virus le 7 février dernier et a été réhabilité à titre posthume par une commission d'enquête), et la médecin Ai Fen, l'"autre lanceuse d'alerte de Wuhan", également court-circuitée par les autorités chinoises mais toujours en vie. Ces personnages (notamment les deux derniers cités) auront peut-être leur histoire portée un jour à l'écran.
Ces derniers années, les films sur les lanceurs d'alerte se sont multipliés. Rien de plus logique puisque les actions des lanceurs d'alerte se sont également multipliées depuis le début des années 2000. Passage en revue des films de ce genre devenu à part.
Un lanceur d'alerte (whistleblower) est un individu ou groupes d'individus qui révèle des comportements illicites et/ou dangereux pouvant constituer une menace pour l'homme (Scandale du Mediator - La fille de Brest, 2015), l'économie (Panama Papers - The Laundromat, 2019), la société (espionnage de la NSA - Snowden, 2016) et l'environnement (pollution de l'eau potable en Californie - Erin Brockovich, 2000). Il est évident de même que ces situations peuvent se croiser.
Médias et pouvoir politique
Animé de bonnes intentions et désintéressé, le lanceur d'alerte porte les éléments qu'il a découvert à la connaissance, le plus souvent, des médias (première puissance de diffusion de la vérité), soit la presse écrite (ancien analyste de la RAND Corporation, Daniel Ellsberg (interprété par Matthew Rhys) transmet en 1971 une étude secrète du ministère américain de la Défense au New York Times et au Washington Post qui révèlent le scandale des Pentagon Papers - The Post, 2017), ou la télévision : en 1995, Jeffrey Wigand (Russell Crowe) dénonce dans l'émission 60 minutes de CBS l'utilisation de substances addictives par l'industrie du tabac qui l'employait. Celle-ci a dû payer 246 millions de dollars de dommages et intérêts pour atteinte à la santé publique (The Insider, 1999).
Après le scandale des Pentagon Papers, le président américain Richard Nixon n'était pas au bout de ses peines. Un an plus tard, 5 hommes étaient arrêtés pour être entrés par infraction dans les locaux du Parti démocrate. Alors que l'affaire était présentée comme un fait divers, les journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, décident de creuser et sont tuyautés par un informateur secret appelé "gorge profonde" (Liam Neeson). Celui-ci ne révélera son identité qu'en 2005, en la personne de Mark Felt, n° 2 du FBI (Mark Felt: The Man Who Brought down the White House, 2017). Le scandale du Watergate mènera à un complit ourdi par les hautes sphères du pouvoir et entraînera la première et seule démission d'un président des Etats-Unis (All the President's Men, 1976). C'est également la presse US qui contribua durant les années 1950 à la chute du sénateur Joseph McCarthy (et sa tristement célèbre "chasse aux sorcières" des années 1950-1954), en l’occurrence le journaliste Edward R. Murrow (David Strathairn) et son producteur, Fred Friendly (George Clooney), par le biais du journal télévisé de CBS (Good Night, and Good Luck, 2005).
A qui s'adresser
S'adresser directement aux autorités officielles peut également être une (unique) option. C'est ainsi que Daniel J. Jones (Adam Driver), directeur d'une enquête de la Commission spéciale du Sénat américain sur le programme de détention et d'interrogation de la CIA à la suite des attentats du 11 septembre 2011 (The Report, 2019), découvre les méthodes brutales et sadiques de cette dernière, ou ce qui a été appelé "technique d'interrogatoire renforcée". Menant la plus grande enquête jamais effectuée par la Commission du Sénat, Jones ne peut présenter ses résultats qu'à son supérieur, la sénatrice Dianne Feinstein (2014). Cette affaire mènera en 2015 à l'amendement McCain-Feinstein, mettant fin au programme en question. Mais aucun membre de la CIA ne sera poursuivi... Dans The Informant! (2009), c'est la CIA qui collecte les informations de Mark Whitacre (Matt Damon) qui rapporte les pratiques illégales du groupe alimentaire pour lequel il travaillait. Sauf qu'ici le lanceur d'alerte use de sa position pour s'enrichir illégalement, comme quoi certaines situations peuvent être ambiguës.
Une autorité officielle peut être la justice. C'est dont se saisit Lois Jenson (Charlize Theron) durant les années 1990, menant le premier recours collectif pour harcèlement sexuel aux Etats-Unis (date assez tardive pour un pays vantant sa "démocratie") et entre dans l'histoire de ce pays en faisant condamner pour cette accusation la mine qui l'employait dans l'Etat du Minnesota (North Country, 2005). Dans l'Affaire Harvey Weinstein - l'un des scandales sexuels les plus retentissants - pas moins de 93 femmes ont affirmé avoir été agressées sexuellement par l'ex-producteur vedette de Hollywood. Celui-ci a écope le 24 février dernier de 23 ans de prison pour agressions sexuelles et viols. Il ne serait pas étonnant qu'une fiction sur cette affaire voit le jour, centrée à la fois sur les victimes et la vie du prédateur sexuel (en mode "ascension et chute"). Enfin, un lanceur d'alerte peut s'adresser à une association. Découvrant la chasse aux dauphins à Taiji (Japon), Ric O'Barry, ancien dresseur de dauphins devenu activiste, s'adresse à Louie Psihoyos (ancien photographe du National Geographic) qui avec l'aide de l'ONG qu'il dirige (Oceanic Preservation Society) met en place une équipe qui parvient à filmer ce forfait caché par les autorités japonaises et à en faire un documentaire (The Cove, oscarisé en 2009).
A noter de même qu'un média peut être lui-même le lanceur d'alerte. Ce sont des journalistes d'investigation du Boston Globe qui dévoilent au début des années 2000 (obtenant le Prix Pulitzer en 2003) le Scandale d'abus sexuels dans l'archidiocèse de Boston. Entraînant une crise de l'Eglise catholique aux Etats-Unis, cette affaire mènera, notamment, à la démission de l'archevêque de Boston, Bernard Law en 2003 (Spotlight, 2015).
Lanceurs d'alerte et cinéma
La multiplication des lancements d'alerte constituent un filon intarissable pour le cinéma, notamment Hollywood, toujours à l'affût d'un bon coup. Ce thème très à la mode désormais permet, en effet, de renouveler celui - plus général - du héros, bassiné à toutes les sauces au cinéma et à la télévision, et depuis belle lurette. A ce thème réactualisé viennent se greffer trois dimensions attrayantes : la réalité des faits (les personnages ont existé), un plaidoyer pour la justice et la transparence, et le combat de David contre Goliath. Ces deux dernières caractéristiques se combinent parfaitement puisque dans un monde où la justice sociale n'a jamais existé, les dominés réclament justement un partage équitable des ressources, des pratiques économiques transparentes et une justice impartiale. On s'identifie au lanceur d'alerte, celui-ci étant souvent de la classe moyenne et menant une vie ordinaire. Force d'ailleurs est de constater que les films dévoilant des scandales et centrés sur le protagoniste principal présentent des structures narratives similaires.
Une action périlleuse
Si les actions des lanceurs d'alerte entraînent un processus de régulation, de controverse ou de mobilisation sociale, elles mènent de même à une mise en danger du protagoniste. Wigand (The Insider) fut menacé de mort. Le même sort fut réservé à Robert Bilott (Mark Ruffalo) en 2016. Cet avocat d'un grand cabinet partit en guerre contre l'entreprise de produits chimiques DuPont, responsable de l'empoisonnement à petit feu des habitants et des animaux de la localité de Parkersburg (Virginie occidentale). Sa dénonciation médiatique mit en péril sa carrière et sa famille (Dark Waters, 2019). Fondateur de Wikileaks, Julian Assange (interprété par Benedict Cumberbatch dans The Fifth Estate, 2013) est actuellement en prison, à Londres. Quant à Edward Snowden (Joseph Gordon-Levitt), véritable porte-drapeau de cet univers, immortalisé d'abord dans un documentaire oscarisé (Citizenfour, 2014) puis fictivement par Oliver Stone (Snowden, 2016), il est poursuivi par la justice américaine pour espionnage mais a obtenu l'asile politique temporaire en Russie.
En 2004, Dan Rather, journaliste vedette et sa productrice Mary Maples diffusent sur CBS un reportage racontant comment George W. Bush aurait essayé d'échapper à ses obligations militaires entre 1968 et 1974 - grâce à ses connections familiales et politiques - afin d'éviter de participer à la guerre du Vietnam. Les deux audacieux perdront leur emploi (Truth, 2015). Toujours dans le domaine politique (mais dans une dimension plus choquante), le journaliste Gary Webb (Jeremy Renner) du San José Mercury News, perdra la vie pour avoir osé défier la CIA et le gouvernement américain, révélant au grand public en 1996 que ces deux instances avaient monté et orchestré une opération secrète durant les années 1980, consistant à inonder les quartiers afro-américains de Los Angeles de crack en provenance du Nicaragua et à armer en contrepartie la rébellion contra dans sa guerre contre le gouvernement sandiniste (Kill the Messenger, 2014).
L'organisation des nations unies, supposé porte-flamme de la paix et de l'éthique, n'échappe pas non plus aux scandales. Les crimes sexuels commis ces dernières années par des casques bleus sur des mineures en Centrafrique (et dénoncés en 2016 par l'ONG CodeBlue) rappellent l'histoire de Kathryn Bolkovac (Rachel Weisz). Cette policière travaillant pour la compagnie privée américaine DynCorp dans le cadre d'un contrat dépendant de l'ONU, démantèle un réseau de prostitution impliquant des officiels de l'instance internationale en Bosnie-Herzégovine (années 1990). Vu les enjeux financiers (l'ONU a payé 15 millions de dollars à DynCorp) et les possibles retombées politiques, elle faillit y perdre la vie et ne travailla plus jamais pour la justice internationale. Des officiels onusiens durent démissionner mais aucun ne fut poursuivi en raison de leur immunité diplomatique (The Whistleblower, 2010).
Dans le domaine du sport, le neurologue pathologiste d'origine nigériane Bennet I. Omalu (Will Smith) révolutionne en 2002 le monde de la neurologie en découvrant des cas d'encéphalopathie traumatique chronique au sein de la National Football League. Dénonçant les dangers du sport le plus populaire aux Etats-Unis, il se fait vilipender par la NFL (vu les millions de dollars que brasse ce sport) qui tente de ruiner sa carrière (Concussion, 2015).
Lanceurs d'alerte et Guerre d'Irak (2003)
Dans le sillage de la guerre d'Irak de 2003, l'agente de la CIA, Valerie Plame (Naomi Watts), parvient à prouver avec l'aide de son époux (l'ambassadeur Joseph Wilson) que l'Irak ne s'est pas fourni en uranium auprès du Niger, argument qu'utilise le président américain George W. Bush pour justifier une invasion US de l'Irak. Mais les conclusions de son rapport sont ignorées par l'administration Bush... Wilson publie donc le rapport dans le New York Times. Conséquence : des membres de l'administration US dévoilent via la presse l'identité de Valerie Plame, grillant sa couverture (et mettant en danger ses contacts à l'étranger) et la discréditant (Fair Game, 2010).
A la même époque, Katharine Gun (Kiera Knightley) - agente des renseignements britanniques - transmet au quotidien The Observer un document transmis par la NSA et attestant d'un plan américain visant à soudoyer des membres non-permanents du Conseil de sécurité de l'ONU afin d'obtenir leur vote en vue d'une invasion de l'Irak. Gun sera poursuivie par la justice mais finalement acquittée car d'après la justice britannique, la condamner aurait entraîné la justice britannique à reconnaître l'illégalité d'une agression contre l'Irak (Official Secrets, 2019).
Toujours en 2003, l'armée américaine et la CIA sont empêtrés dans le Scandale d'Abou Ghraib. Dans cette prison située à 32 km de Bagdad, des membres des deux institutions infligeaient aux prisonniers irakiens des sévices dépassant l'entendement. C'est l'ONG de défense des droits de l'homme Amnesty International qui dévoilait le scandale, relayée ensuite par les médias américains (Standard Operating Procedure, 2008). Le même scandale touchera une autre prison d'un pays occupé par l'armée américaine, celle de Bagram en Afghanistan, sauf que dans ce cas-là, la torture volontaire mènera au meurtre prémédité de deux prisonniers (Taxi to the Dark Side, 2007). Pays très pauvre (le mot est faible), en guerre sans discontinuité depuis 1989 et foyer de l'islamisme radical, l'Afghanistan sera au cœur du programme secret de drones du gouvernement américain, révélé par The Guardian grâce aux informations de trois lanceurs d'alerte (National Bird, 2015).
Le trident Maison-Blanche/CIA/NSA est d'ailleurs systématiquement dans les mauvais coups. En 2010, c'est grâce, notamment, aux révélations d'anciens employés de la NSA qu'est dévoilée une opération secrète conjointe (renseignements américains, britanniques et israéliens) - appelée "Olympic Games" - visant à détériorer le fonctionnement du programme nucléaire iranien via une cyber-attaque (Zero days, 2016). Cette même NSA aurait pu, semble-t-il, éviter à la première puissance mondiale le plus grand attentat terroriste survenu sur son territoire, d'après les révélations d'un de ses anciens analystes (A Good American, 2015). La CIA et le FBI avaient également les moyens d'arrêter cela mais leur compétition couplée aux manigances de la CIA et à l'incompétence de l'administration Georges W. Bush n'a pas permis de contrecarrer les plans de la nébuleuse Al Qaïda (l'histoire est racontée dans la série The Looming Tower de la chaîne Hulu - 2018).
Récemment : les arnaques du siècle
Le temps passe et les dimensions scandaleuses des affaires s'amplifient. Deux scandales récents et survenus à deux années d'intervalle constituent tout simplement le summum en termes de volume d'informations, de sommes d'argent brassées et d'impact politique ou financier. Le scandale des Panama Papers (2016), impliquant fraude fiscale, évasion fiscale et blanchiment d'argent démarre avec une fuite de plus de 10 millions de documents (2.6 téraoctets de données) attestant de plusieurs milliards de dollars volés (The Panama Papers, 2018). Quant au scandale Facebook-Cambridge Analytica (2018), il révèle l'utilisation illégale de données de 87 millions de personnes (toujours The Guardian) et le rôle fondamental d'une société de stratégie politique dans deux événements politiques majeurs (The Great Hack, 2019).
Quant aux facteurs expliquant la multiplication des lancements d'alerte, ils sont sans aucun doute multiples et nous pouvons mettre en avant parmi ceux-là l'impact des nouvelles technologies (internet et réseaux sociaux). Tout est traçable désormais et rien ne peut être longtemps caché. Nous pouvons ajouter à cela un phénomène mondial de creusement des inégalités socio-économiques et de paupérisation massive des classes moyennes et pauvres. C'est ce facteur - induit par un phénomène de mondialisation ultra-libérale contrôlée par les plus riches - qui explique les crises sociales, économiques ou politiques (souvent les trois à la fois) de 2019 dans de nombreux pays (Chili, Liban, Honduras, Haïti, Iran, Colombie, Venezuela, Irak...etc).
Or, ces inégalités sont essentiellement causées par des combines financières illicites : fraude fiscale et évasion fiscale lorsqu'il s'agit du secteur privé (mais les politiques usent largement de ces pratiques), détournement de fonds (et autres) lorsqu'il s'agit de fonctionnaires de l'Etat. Cette deuxième tendance donne lieu à ce qu'on appelle une kleptocratie, soit le "gouvernement des voleurs" (kleptos = vol ; kratos = gouverner), un terme que l'on peut appliquer à la Russie de Poutine, la Libye de Kaddhafi, la Tunisie de Ben Ali, le Liban depuis belle lurette et bien d'autres... C'est d'ailleurs le titre d'un documentaire décryptant le Scandale 1MDB, démarrant en Malaisie et ayant des ramifications mondiales (The Kleptocrats, 2018). C'est ainsi que la possibilité pour des spécialistes de tracer tout et n'importe quoi via internet et la poursuite (le monde ne change pas) en parallèle de pratiques financières illégales mènent au dévoilement régulier de scandales : Offshore Leaks (2013), LuxLeaks (2014), SwissLeaks (2015), Panama Papers (2016), Football Leaks (2016), Bahamas Leaks (2016), Paradise Papers (2017), Football Leaks 2 (2018), Mauritius Leaks (2019), Luanda Leaks (2020)... La liste est longue (pour des scandales récents de tout genre, voir la série-documentaire Dirty Money (2018 - ) de Netflix) et devrait continuer à constituer un filon intarissable pour le cinéma ou la télévision.
J. N
Fictions/documentaires liés au dévoilement de comportements illicites (liste non-exhaustive).
- Official Secrets (Gavin Hood, 2019)
- Dark Waters (Todd Haynes, 2019)
- The Great Hack (Karim Amer, Jehane Noujaim, 2019) - documentaire
- XY Chelsea (Tim Travers Hawkins, 2019) - documentaire
- The Report (Scott Z. Burns, 2019)
- The Laundromat (Steven Soderbergh, 2019)
- The Kleptocrats (Sam Hobkinson, Havana Marking, 2018) - documentaire
- The Panama Papers (Alex Winter, 2018) - documentaire
- The Post (Steven Spielberg, 2017)
- Mark Felt: The Man who Brought Down the White House (Peter Landesman, 2017)
- Snowden (Oliver Stone, 2016)
- Zero Days (Alex Gibney, 2016)
- National Bird (Sonia Kennebeck, 2016) - documentaire
- La fille de Brest (Emmanuelle Bercot, 2016)
- Concussion (Peter Landesman, 2015)
- Spotlight (Tom McCarthy, 2015)
- Truth (James Vanderbilt, 2015)
- A Good American (Friedrich Moser, 2015) - documentaire
- L'enquête (Vincent Garenq, 2014)
- Citizenfour (Laura Poitras, 2014) - documentaire
- The Fifth Estate (Bill Condon, 2013)
- We Steal Secrets: the Story of Wikileaks (Alex Gibney, 2013) - documentaire
- The Whistleblower (Larysa Kondracki, 2010)
- Fair Game (Doug Liman, 2010)
- The Informant! (Steven Soderbergh, 2009)
- The Cove (Louie Psihoyos, 2009) - documentaire
- Standard Operating Procedure (Erroll Morris, 2008) - documentaire
- Taxi to the Dark Side (Alex Gibney, 2007) - documentaire
- North County (Niki Caro, 2005)
- Good Night, and Good Luck (George Clooney, 2005)
- Erin Brockovich (Steven Soderbergh, 2000)
- The Insider (Michael Mann, 1999)
- Silkwood (Mike Nichols, 1983)
- All the President's Men (Alan J. Pakula, 1976)
01:34 Publié dans Documentaire, Film, Liste/Classement | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : the report, adam driver, dianne feinstein, lois jenson, charlize theron, north country, oceanic preservation society, boston globe, louie psihoyos, ric o'barry, the cove, daniel j. jones, benedict cumberbatch, irak, joseph wilson, niger, fair game, panama papers, the great hack, the kleptocrats, ai fen, li wenliang, coronavirus, zero days, mossad, cia, the looming tower, harvey weistein, mauritius leaks, russie, luxleaks, swissleaks, bahamas leaks, paradise papers, offshore leaks, kleptocratie, luanda leaks, football leaks, liban, chili, iran, honduras, cambridge analytica, facebook, netflix, the panama papers, lanceur d'alerte, edward snowden, daniel ellsberg, mark felt
23/02/2020
Zero Days
Après le visionnage de quelques documentaires réalisés par l'américain Alex Gibney, on a pu cerner ce qui intéresse ce réalisateur prolixe, considéré en 2010 par le magazine Esquire comme un des documentaristes les plus importants du moment, dans un article relevant le fait qu'il était "le biographe des hommes mauvais".
Il est évident que le natif de New York s'intéresse essentiellement à des actes illicites commis par les humains, soit le fameux scandale financier Enron (Enron: The Smartest Guys in the Room, 2005), l'arnaque Lance Armastrong (The Armstrong Lie, 2013), la torture effectuée par l'armée américaine dans une prison en Afghanistan et menant à l'assassinant de deux détenus (Taxi to the Dark Side, oscar du meilleur documentaire en 2008), le décorticage du fonctionnement de l'Eglise scientologue aux Etats-Unis (Going Clear: Scientology and the Prison of Belief, 2015), la fraude massive effectuée par un laboratoire pharmaceutique (The Inventor: Out for Blood in Silicon Valley, 2019), etc...
Zero Days raconte la découverte en 2010 d'un programme informatique appelé Stuxnet, conçu par la NSA et faisant partie d'une opération appelée "Olympic Games" et visant à déstabiliser voire détruire le programme nucléaire de la République islamique d'Iran. A travers de nombreux entretiens dont des lanceurs d'alerte anonymes ayant travaillé pour la NSA mais également des personnalités politiques de premier plan (notamment des anciens directeurs de la CIA et de la NSA), on apprend qu'il s'agissait d'une opération conjointe impliquant la NSA, la CIA, le commandement de l'armée américaine et les services de renseignements britanniques et israéliens. Le virus Stuxnet attaqua en juin 2009 le site nucléaire iranien de Natanz, provoquant une dégradation de l'uranium enrichi par les centrifugeuses.
On apprend ici que comme souvent les autorités israéliennes voulurent aller plus loin que leurs homologues américaines et mirent en place (sans les consulter) une attaque plus agressive, ce qui permit la révélation de ce programme top secret. Que les Etats - notamment les Etats-Unis - commettent des actes peu moraux afin de déstabiliser des Etats déclarés déviants ou tout simplement ennemis n'a rien de nouveau ou d'étonnant. Le documentaire permet en fait de confirmer deux tendances se mettant progressivement en place depuis plusieurs années : l'autonomie (voire l'indépendance) d'Israël vis-à-vis des Etats-Unis dans la conduite de sa politique étrangère (officielle/officieuse) et la place de plus en plus importante au XXIème siècle de la cybercriminalité dans les conflits inter-étatiques. J N
Zero Days (Alex Gibney, USA, 2016, 113 min)
- Sélection officielle - Festival de Berlin 2016
12:29 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : programme nucléaire iranien, iran, israël, nsa, cia, etats-unis, royaume-uni, alex gibney, zero days, cybercriminalité, cyber-attaques, stuxnet, natanz, site nucléaire de natanz, centrifugeuse, uranium, olympic games, lanceur d'alerte