03/01/2020
The Panama Papers
Comme le titre l'indique, ce documentaire traite des Panama Papers, soit le plus grand scandale financier de tous les temps, auquel le réalisateur américain Steven Soderbergh a également accordé récemment une fiction (The Laundromat, 2019). "Plus grand" car il s'agit d'une fuite de plus de 11.5 millions de documents provenant de la firme d'avocats Mossack Fonseca (basée au Panama), détaillant des informations sur plus de 214.000 sociétés offshore ainsi que les noms des actionnaires de ces sociétés. Fournies par un lanceur d'alerte anonyme (appelé John Doe), les données concernent des activités s'étalant de 1970 à 2015 et constituent un volume informatique de 2.6 téraoctets.
Envoyées d'abord, en 2015, au journaliste Bastian Obermayer du quotidien allemand de centre-gauche, Süddeutsche Zeitung, les données sont ensuite partagées avec les rédactions de médias de plus de 80 pays par l'intermédiaire du Consortium international des journalistes d'investigation (fondé en 1997 et basé à Washington). Désormais spécialiste des scandales financiers (LuxLeaks, Offshore Leaks, Paradise Papers...etc), ce dernier a également révélé en 2018 un scandale sanitaire mondial concernant plusieurs types d'implants médicaux ("Implant Files"), et en novembre 2019 le fonctionnement des camps d'internement de la population ouïgour dans la province chinoise du Xinjiang ("China Cables").
Les premiers articles (accompagnés de 149 documents) sont publiés le 3 avril 2016 (suivront d'autres). Le tout dévoile des identités et montre comment le cabinet d'avocats panaméen a aidé à créer des sociétés écran qui permettent ensuite l'évasion fiscale et le blanchiment d'argent, véritables fléaux mondiaux. C'est sur cela que revient ce documentaire qui décrypte de même comment les journalistes ont opéré dans l'analyse des données et leur révélation publique. Il n'aborde cependant pas avec détails le mode de fonctionnement des opérations financières, aspect très technique, ce qui lui permet de s'adresser à un public large.
Il serait futile de dresser une liste des personnes citées dans les Panama Papers, tellement celle-ci est longue. Elle comprend de nombreux hommes politiques de premier plan, des hommes d'affaires connus, des collectionneurs d'art, acteurs et réalisateurs de cinéma, footballeurs...etc. Le scandale entraîne la démission du premier ministre islandais, l'inculpation du premier ministre pakistanais, la démission d'un ministre espagnol, et la destitution au Brésil de la présidente Dilma Roussef. Mais hormis, ceux-là, des personnalités d'envergure politique, citées dans les Panama Papers (les présidents d'Ukraine et d'Argentine, le roi d'Arabie Saoudite, et des ministres et députés d'une trentaine d'Etats) ne sont pas inquiétées, comme c'est souvent le cas dans ce type de scandale.
S'il n'est pas tout à fait un réquisitoire contre la financiarisation de l'économie mondiale (comme le fut l'excellent Noire Finance), The Panama Papers constitue toutefois un plaidoyer pour plus de démocratie économique et un appel à lutter davantage contre les combines financières permises par l'existence des paradis fiscaux. Ces derniers constituent probablement le problème économique le plus grave puisqu'ils contribuent amplement au creusement des inégalités socio-économiques. Le documentaire apporte à ce sujet des statistiques ahurissantes : depuis 2015, les 1% les plus riches de la planète ont plus d'argent que les 99% restant tandis qu'entre 1988 et 2011, les revenus des 10% les plus pauvres ont augmenté de moins de 3%. Or, tout cet argent caché (représentant des milliards de dollars) sert à construire routes, écoles, hôpitaux, infrastructures...etc. Hélas, rien ne semble vraiment changer à ce niveau-là lorsqu'on connaît la collusion inévitable et systématique entre élites politiques et économiques. Les scandales se poursuivent et les sanctions (lorsqu'il y en a) demeurent dérisoires. J N
The Panama Papers (Alex Winter, 2018, USA, 100 min)
22:10 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : the panama papers, the laundromat, consortium international des journalistes d'investigation, alex winter, bastian obermayer, süddeutsche zeitung, panama papers, mossack fonseca, scandale financier, finance, finance internationale
28/10/2019
The Trial of Ratko Mladic
Le 22 novembre 2017, Ratko Mladic était condamné à la prison à perpétuité par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (TPIY). Institué le 25 mai 1993 par la résolution 827 du Conseil de sécurité de l'ONU, ce dernier avait pour charge de juger les personnes s'étant rendues coupables de violations graves du droit international humanitaire sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, à partir du 1er janvier 1991 (1). Traqué durant 15 ans et arrêté en mai 2011 par la police serbe en Vojvodine (république autonome de Serbie), Mladic - surnommé "le boucher des Balkans" - fut la dernière personne jugée par le TPIY (2) et cette instance basée à La Haye (siège de la Cour pénal internationale) sera dissoute le 31 décembre 2017.
L'occasion était donc de revenir sur ce procès très médiatisé. Le documentaire explique comment l'accusation a procédé pour démontrer que Mladic - commandant de l'Armée de la République serbe de Bosnie-Herzégovine de 1992 à 1996) a commis des actes de génocide, nettoyage ethnique et crime contre l'humanité. Il sera finalement reconnu coupable de 10 chefs d'accusation sur 11 (1 de génocide, 5 de crime contre l'humanité et 4 de crime de guerres). Il est notamment responsable des tristement célèbres siège de Sarajevo (3) et massacre de Srebrenica (4).
Sans véritable analyse ni esprit critique, il a été question ici de démontrer la culpabilité de Mladic. Point de problème à ce niveau-là, les vidéos d'archive (scènes de guerre et déclarations officielles de Mladic notamment) sont convaincantes et indiquent que Ratko Mladic a en effet entrepris des crimes atroces. Toutefois, cela masque les nombreuses critiques pertinentes faites à l'encontre de ce tribunal et remettant à jour le problème de la justice internationale, ce qui nous amène à considérer ce documentaire comme propagandiste (justifier la bonne action de ce tribunal) et inutile... Quant aux critiques, nous pouvons les résumer aux points suivants :
La légitimité
Pour quelles raisons une justice pénale internationale est appliquée à certains conflits (Ex-Yougoslavie, Rwanda) et pas à d'autres, très nombreux depuis la fin de la guerre froide ? (5) Force est de constater qu'aucun soldat américain n'a été jugé pour des crimes de guerre commis par l'armée américaine en Afghanistan et en Irak. La question de la légitimité met donc en exergue une justice internationale sélective et épargnant les pays occidentaux.
La crédibilité
En 2011, Ante Gotovina (un général croate) est condamné par le TPIY à 24 ans de prison pour crimes contre l'humanité à l'encontre des populations serbes. Faisant appel, il est acquitté en 2012. Poursuivi pour crimes de guerre durant la Guerre du Kosovo (1998-1999), Ramush Haradinaj (actuel premier ministre du Kosovo), chef paramilitaire est acquitté par le TPIY en novembre 2012, après que tous les témoins devant comparaître contre lui aient été assassinés (ou décédés dans des circonstances non élucidées). Ces deux cas ont écorné la crédibilité du TPIY.
La compétence
La question de la compétence du Conseil de sécurité de l'ONU à créer un tribunal international a été posée. Autorisé par le chapitre VII de la Charte de l'ONU à intervenir en cas de menace à la paix et à la sécurité internationales, le Conseil de sécurité peut d'après l'article 29 "créer des organes subsidiaires qu'il juge nécessaires à l'exercice de ses fonctions". Le TPIY devait donc être un organe du Conseil de sécurité alors qu'il est officiellement une juridiction indépendante...
L'indépendance
Cette indépendance théorique ne l'est justement pas dans les faits puisque le TPIY était financé par l'OTAN, ce qui soulève la question de la collusion entre ces deux instances et les pressions exercées par l'OTAN, organisation occidentale, au sein de laquelle, les Etats-Unis sont très influents.
En tout état de cause, ces quatre "problèmes" s'emboîtent et constituent un même problème général, celui de la sélectivité de la justice pénale internationale, non épargnée par la question des intérêts (raison d'Etat et autres) des grandes puissances. J N
The Trial of Ratko Mladic (Robert Miller, Henry Singer, 2018, UK, 100 min)
(1) Soit les guerres de Yougoslavie (mars 1991-novembre 2001).
(2) Goran Hadzic (président de la République de Krajina durant la Guerre de Croatie - 1990-1995) fut arrêté après Mladic (juillet 2011) mais il fut libéré en 2015 pour raisons médicales et décéda en 2016.
(3) Le siège de la capitale bosniaque (1992-1995) fut effectué par les forces serbes de Bosnie dont le bombardement et les tirs de snipers menèrent au décès de 5000 civils.
(4) Ce massacre de 8000 hommes et adolescents bosniens dans cette ville musulmane de Bosnie fut perpétré par l'armée serbe de Bosnie, appuyée par les Scorpions, un groupe paramilitaire serbe, actif en Serbie et en Bosnie.
(5) De 1945 (Procès de Nuremberg) aux années 1990, la justice internationale est inexistante. Cela s'explique par la structure bipolaire du système international.
16:04 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : tpiy, otan, the trial of ratko mladic, ratko mladic, guerres de yougoslavie, yougoslavie, croatie, serbie, krajina, ex-yougoslavie, kosovo, tribunal pénal international pour l'ex-yougoslavie, justice pénale internationale, justice international
24/10/2019
Marina Abramovic: The Artist is Present
Dire que l'art de Marina Abramovic (née à Belgrade en 1946) est "bizarre" serait sans doute un euphémisme. Du moins pour les profanes en art contemporain que nous sommes. Appartenant au courant artistique de l'art corporel, Abramovic a systématiquement repoussé les limites (autoflagellation et autres...), invitant même le spectateur à faire partie de son oeuvre. C'est là où elle rappelle qu'elle entend, à travers l'art, faire ressortir la nature humaine, au-delà de ses limites, et qu'elle ne conçoit pas cet art sans interactivité. Ce documentaire revient sur les coulisses de la rétrospective, puis la rétrospective elle-même, de l'artiste serbe au Museum of Modern Art à New York en 2012. Loin d'embrasser avec exhaustivité la nature de l'art d'Abramovic, il a le mérite d'en cerner les contours. Qu'on en ressorte choqué ou dérangé n'a pas grande importance. On ne peut qu'être instruit, et fasciné par ce radicalisme extrême. J N
Marina Abramovic: The Artist is Present (Matthew Akers, Jeff Dupre, 2012, USA, 96 min)
- 1 nomination (meilleur documentaire) - Independent Spirit Awards 2013
- Panorama Audience Award - Festival International de Berlin 2012
- 1 nomination (Grand prix du Jury) - Festival de Sundance 2012
- Meilleur film - Festival de Sarajevo 2012
- Meilleur documentaire - Dublin Film Critics Circle Awards 2012
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17:22 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : marina abramovic, moma, art corporel, serbie, marina abramovic: the artist is present
21/10/2019
Ad Astra
C'est avec retard que nous commentons ce film de science-fiction sorti il y a quelques semaines. Devenu un grand classique de la SF depuis 2001, A Space Odyssey (Stanley Kubrick, 1968), le thème des voyages dans l'espace se divise généralement en deux catégories : missions à haut risque (Apollo 13, 1995 ; Event Horizon, 1997 ; Gravity, 2013 ; The Martian, 2015) et sauver la Terre (Deep Impact, 1997 ; Armageddon, 1998 ; Red Planet, 2000 ; Sunshine, 2007 ; Moon, 2009 ; Interstellar, 2014). Les deux catégories peuvent, fort logiquement, se croiser ; et dans cette liste récente et loin d'être exhaustive, le traitement du thème (horrifique, esthétique, mainstream...etc) est très varié. Ad Astra (locution latine signifiant "vers les étoiles") se situe dans la seconde catégorie.
Astronaute de la NASA, Roy McBride (Brad Pitt) est responsable du maintien d'une antenne géante. Lorsque celle-ci est détruite par des surcharges électriques provenant de Neptune et mettant en péril la Terre, il est chargé de se rendre sur Neptune même, où son père - scientifique brillant mais fort controversé - semble se trouver, 16 ans après son dernier contact avec la Terre... Pour arriver à destination, le principal protagoniste effectuera un long périple, passant d'abord par la Lune et Mars. Dans un style élégant et sobre (magnifique course-poursuite sur la Lune) et teinté de mélancolie, James Gray nous livre le périple d'un homme qui doit se rendre au fin fond du système solaire pour renouer avec un père qu'il n'a jamais vraiment connu. Référence en terme de sang-froid (c'est sans gros souci qu'il échappe à des pirates de l'espace et qu'il se débarrasse d'un singe féroce et de tout un équipage), McBride se découvre des émotions au fur et à mesure que sa rencontre avec son père approche. Simple en apparence, le scénario est en fait un emboîtement de trois thèmes traités avec grande intelligence émotionnelle : la quête de soi, l'amour filial et le voyage interplanétaire. Une belle odyssée (rendant au passage hommage à Kubrick), apportant une fraîcheur certaine à l'univers intersidéral. J. N
Ad Astra (James Gray, USA, 2019, 120 min)
Cast : Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Donald Sutherland, Ruth Negga, Kimberly Elise.
- 1 nomination (Lion d'or) - Mostra de Venise 2019
11:59 Publié dans Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : système solaire, james gray, ad astra, brad pitt, donald sutherland, science-fiction, voyage interplanétaire
03/08/2018
Hot girls wanted
Présenté au Festival de Sundance et produit par Netflix, Hot girls wanted s'intéresse aux trajectoires de jeunes femmes âgées pour la plupart d'entre elles de 18 ou 19 ans, entrées dans l'industrie du porno amateur. L'idée de base était de comprendre ce qui a poussé ces filles (la plupart sont des adolescentes) à faire ce choix de carrière, devenu très rapidement une désillusion. Désillusion car la plupart de ces personnes à la recherche d'argent facile se rendent compte très vite qu'elles ne pourront percer au-delà du porno amateur. Dans ce sens, un producteur porno interviewé explique que leur longévité ne dure que quelques mois. En effet, si elles ne réalisent pas un carton en mode amateur, elles sont impitoyablement éjectées du monde de la pornographie vidéo.
Certains critiques ont regretté que "ce documentaire n'évoque qu'un segment du porno sur le web". Mais c'est justement l'objectif ici, qui est de cerner plus ou moins la question du porno amateur, censé être l'anti-chambre du porno professionnel, le tremplin vers l'eldorado. Cerner tout l'univers du porno reviendrait à effectuer plusieurs longs documentaires...
Plusieurs enseignements : le contenu sobre du documentaire n'empêche nullement de saisir les mécanismes du porno amateur. Ensuite, la galère des filles en question devrait faire réfléchir à deux fois celles qui seraient amenées à les imiter. Enfin, les consommateurs de porno amateur comprennent ce qu'ils sont en train de cautionner implicitement. Finalement c'est un documentaire qui aborde honnêtement, sans jugement de valeur ni complaisance un sujet qui demeure tabou. Intéressant. J N
Hot girls wanted (Jill Bauer, Ronna Gradus, USA, 84 min)
- 1 nomination (Grand prix du Jury) - Festival de Sundance 2015
11:17 Publié dans Documentaire, Film | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pornographie, etats-unis, porno, hot girls wanted, porno amateur, jill bauer, ronna gradus