24/04/2020
Indice de liberté de presse - 2020
La pandémie actuelle du Coronavirus/Covid-19 est du pain béni pour de nombreux gouvernements. Dans certains cas, elle permet de masquer la crise économique aiguë traversée en ce moment (Liban) mais plus généralement, elle fournit un prétexte à de nombreux gouvernements pour restreindre encore plus les libertés individuelles, notamment la liberté de la presse.
C'est ce qu'affirme l'ONG Reporters sans Frontières qui a publié le 21 avril 2020 son classement annuel de la liberté de la presse. C'est le cas par exemple de la Chine (177e) et de l'Iran (173e) - les deux premiers foyers de l'épidémie - qui ont mis en place des dispositifs de censure massifs. En Irak (162e), la licence de l'agence de presse Reuters a été suspendue car cette dernière a remis en cause via une dépêche les chiffres officiels concernant le coronavirus. Au Turkménistan (179e), l'un des pays les plus autoritaires et fermés au monde et où il y a officiellement zéro cas de coronavirus, l'emploi du mot "coronavirus" est passible d'une peine de prison. Considéré comme l'Etat le plus autoritaire au monde (et où il n'y a également - officiellement - aucun cas de contamination), la Corée du Nord occupe la dernière place du classement.
Si l'Occident se classe généralement bien (8 Etats dans le TOP 10, 16 dans le TOP 20) et que les pays nordiques occupent encore une fois le TOP 4 (voir classement ci-dessous), il n'échappe pas pour autant à cette tendance mondiale de musellement des médias. En pleine dérive autoritaire depuis des années, la Hongrie (89e, -2 places) de Viktor Orban a fait passer une "loi coronavirus" sanctionnant jusqu'à 5 ans de prison ferme la "diffusion de fausses informations" concernant le virus.
Progressions et régressions
Pour la 4ème année consécutive, la Norvège - exemple de démocratie - demeure 1ère du classement. Mais la meilleure progression est à créditer à la Malaise (101e) et aux Maldives (179e), après une alternance politique (en Malaisie, le premier ministre Najib Razak a quitté le pouvoir en 2018) qui leur fait respectivement gagner 22 et 19 places. Le Soudan (où l'ancien dictateur Omar el-Bashir a été écarté l'an passé) gagne de même 16 places. Les pires reculs sont du côté des pays en développement : Haïti (83e) et les Iles Comores (75e) perdent respectivement 21 et 19 places.
C'est la région Asie-Pacifique qui marque le recul le plus important (+1.7%). Généralement modèle de démocratie, l'Australie perd 5 places (26e) tandis que Singapour (158e) - Etat autoritaire - en perd 7. La région Moyen-Orient/Afrique du Nord demeure par ailleurs le coin le plus dangereux pour le journalisme, où l'Arabie Saoudite (170e, +2) et l'Egypte (166e, -3) sont - au niveau mondial - les pays où il y a le plus de journalistes emprisonnés.
Si l'Europe et l'Amérique sont généralement les bons élèves de ce classement, cela n'empêche pas des reculs notoires dans certains Etats. La première puissance mondiale - les USA - n'est "que" 45ème (+3) tandis que la première puissance d'Amérique du Sud - le Brésil - est 107ème (-2). Dans ces deux cas, les présidents (respectivement Trump et Bolsonaro) participent activement de cette état de la liberté de la presse, de par leur attitude anti-démocratique et anti-médias, incitant même publiquement à une haine contre les médias.
Même l'Europe occidentale n'échappe pas à une certaine régression. La France, où les journalistes sont victimes d'agressions policières (crise des gilets jaunes) n'est "que" 34ème (-2). Le Royaume-Uni ne fait pas mieux (35e, -2) tandis que des démocraties authentiques comme la Belgique (12e, -3) et la Suisse (8e, -2) régressent également.
Dans le monde arabe, c'est la Tunisie (une transition démocratique plutôt réussie lors du Printemps arabe) qui se classe le mieux (72e, 0) tandis que le Liban (107e, -1) est le pays arabe du Moyen-Orient qui fait le mieux (107e, -1), suivi du Koweït (109e, -1). Les 20 derniers pays du classement sont fort logiquement des pays du sud et autoritaires. Certains sont également instables sur le plan politique. Il convient de même de souligner la corrélation entre crise économique et répression (ou absence de confiance envers) des médias. En effet, tous les Etats marqués par une crise socio-économique durant la période 2019-2020 (Liban, Irak, Iran, Bolivie, Chili, Haïti, Equateur..etc) régressent. En tout état de cause, cette reculade de la liberté de la presse un peu partout semble devenir une normalité. Et c'est une très mauvaise nouvelle. J. N
TOP 20
1. Norvège
2. Finlande
3. Danemark
4. Suède
5. Pays-Bas
6. Jamaïque
7. Costa Rica
8. Suisse
9. Nouvelle-Zélande
10. Portugal
11. Allemagne
12. Belgique
13. Irlande
14. Estonie
15. Islande
16. Canada
17. Luxembourg
18. Autriche
19. Uruguay
20. Suriname
Les 20 Etats les moins bien classés
161. Tadjikistan
162. Irak
163. Somalie
164. Libye
165. Guinée Equatoriale
166. Egypte
167. Yémen
168. Azerbaïdjan
169. Bahreïn
170. Arabie Saoudite
171. Cuba
172. Laos
173. Iran
174. Syrie
175. Vietnam
176. Djibouti
177. Chine
178. Érythrée
179. Turkménistan
180. Corée du Nord
Classement complet
15:11 Publié dans Liste/Classement | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : norvège, finlande, danemark, erythrée, corée du nord, turkménistan, chine, donald trump, trump, bolsonaro, bolivie, chili, soudan, singapour, maldives, reporters sans frontières, coronavirus, covid-19, indice de liberté de presse, indice de liberté de presse 2020, journalisme, irak, iran, liban, tunisie, tadjikistan, haïti, france, etats-unis, brésil, malaisie, iles comores, cuba, vietnam, yémen, djibouti, syrie, laos, portugal, pays-bas, jamaïque, costa rica, nouvelle-zélande, koweït, suède, suisse, equateur, rsf
29/03/2020
Lanceurs d'alerte au cinéma
C'est en pleine pandémie de coronavirus (avec un chiffre alarmant de plus de 660.000 personnes atteintes dont 30.000 décédées) que nous publions finalement cette note sur les lanceurs d'alerte. Le virus dévastateur, apparu dans la ville chinoise de Wuhan, a également son lot de lanceurs d'alerte, qui, comme souvent dans ces situations-là, n'ont pas été écoutés par des autorités supérieures incompétentes. Parmi eux, un médecin français qui sonne l'alerte dès 2015, Li Wenliang, premier médecin chinois à tenter de lancer l'alerte sur l'irruption du coronavirus mais censuré par le pouvoir chinois (il décède du virus le 7 février dernier et a été réhabilité à titre posthume par une commission d'enquête), et la médecin Ai Fen, l'"autre lanceuse d'alerte de Wuhan", également court-circuitée par les autorités chinoises mais toujours en vie. Ces personnages (notamment les deux derniers cités) auront peut-être leur histoire portée un jour à l'écran.
Ces derniers années, les films sur les lanceurs d'alerte se sont multipliés. Rien de plus logique puisque les actions des lanceurs d'alerte se sont également multipliées depuis le début des années 2000. Passage en revue des films de ce genre devenu à part.
Un lanceur d'alerte (whistleblower) est un individu ou groupes d'individus qui révèle des comportements illicites et/ou dangereux pouvant constituer une menace pour l'homme (Scandale du Mediator - La fille de Brest, 2015), l'économie (Panama Papers - The Laundromat, 2019), la société (espionnage de la NSA - Snowden, 2016) et l'environnement (pollution de l'eau potable en Californie - Erin Brockovich, 2000). Il est évident de même que ces situations peuvent se croiser.
Médias et pouvoir politique
Animé de bonnes intentions et désintéressé, le lanceur d'alerte porte les éléments qu'il a découvert à la connaissance, le plus souvent, des médias (première puissance de diffusion de la vérité), soit la presse écrite (ancien analyste de la RAND Corporation, Daniel Ellsberg (interprété par Matthew Rhys) transmet en 1971 une étude secrète du ministère américain de la Défense au New York Times et au Washington Post qui révèlent le scandale des Pentagon Papers - The Post, 2017), ou la télévision : en 1995, Jeffrey Wigand (Russell Crowe) dénonce dans l'émission 60 minutes de CBS l'utilisation de substances addictives par l'industrie du tabac qui l'employait. Celle-ci a dû payer 246 millions de dollars de dommages et intérêts pour atteinte à la santé publique (The Insider, 1999).
Après le scandale des Pentagon Papers, le président américain Richard Nixon n'était pas au bout de ses peines. Un an plus tard, 5 hommes étaient arrêtés pour être entrés par infraction dans les locaux du Parti démocrate. Alors que l'affaire était présentée comme un fait divers, les journalistes du Washington Post, Bob Woodward et Carl Bernstein, décident de creuser et sont tuyautés par un informateur secret appelé "gorge profonde" (Liam Neeson). Celui-ci ne révélera son identité qu'en 2005, en la personne de Mark Felt, n° 2 du FBI (Mark Felt: The Man Who Brought down the White House, 2017). Le scandale du Watergate mènera à un complit ourdi par les hautes sphères du pouvoir et entraînera la première et seule démission d'un président des Etats-Unis (All the President's Men, 1976). C'est également la presse US qui contribua durant les années 1950 à la chute du sénateur Joseph McCarthy (et sa tristement célèbre "chasse aux sorcières" des années 1950-1954), en l’occurrence le journaliste Edward R. Murrow (David Strathairn) et son producteur, Fred Friendly (George Clooney), par le biais du journal télévisé de CBS (Good Night, and Good Luck, 2005).
A qui s'adresser
S'adresser directement aux autorités officielles peut également être une (unique) option. C'est ainsi que Daniel J. Jones (Adam Driver), directeur d'une enquête de la Commission spéciale du Sénat américain sur le programme de détention et d'interrogation de la CIA à la suite des attentats du 11 septembre 2011 (The Report, 2019), découvre les méthodes brutales et sadiques de cette dernière, ou ce qui a été appelé "technique d'interrogatoire renforcée". Menant la plus grande enquête jamais effectuée par la Commission du Sénat, Jones ne peut présenter ses résultats qu'à son supérieur, la sénatrice Dianne Feinstein (2014). Cette affaire mènera en 2015 à l'amendement McCain-Feinstein, mettant fin au programme en question. Mais aucun membre de la CIA ne sera poursuivi... Dans The Informant! (2009), c'est la CIA qui collecte les informations de Mark Whitacre (Matt Damon) qui rapporte les pratiques illégales du groupe alimentaire pour lequel il travaillait. Sauf qu'ici le lanceur d'alerte use de sa position pour s'enrichir illégalement, comme quoi certaines situations peuvent être ambiguës.
Une autorité officielle peut être la justice. C'est dont se saisit Lois Jenson (Charlize Theron) durant les années 1990, menant le premier recours collectif pour harcèlement sexuel aux Etats-Unis (date assez tardive pour un pays vantant sa "démocratie") et entre dans l'histoire de ce pays en faisant condamner pour cette accusation la mine qui l'employait dans l'Etat du Minnesota (North Country, 2005). Dans l'Affaire Harvey Weinstein - l'un des scandales sexuels les plus retentissants - pas moins de 93 femmes ont affirmé avoir été agressées sexuellement par l'ex-producteur vedette de Hollywood. Celui-ci a écope le 24 février dernier de 23 ans de prison pour agressions sexuelles et viols. Il ne serait pas étonnant qu'une fiction sur cette affaire voit le jour, centrée à la fois sur les victimes et la vie du prédateur sexuel (en mode "ascension et chute"). Enfin, un lanceur d'alerte peut s'adresser à une association. Découvrant la chasse aux dauphins à Taiji (Japon), Ric O'Barry, ancien dresseur de dauphins devenu activiste, s'adresse à Louie Psihoyos (ancien photographe du National Geographic) qui avec l'aide de l'ONG qu'il dirige (Oceanic Preservation Society) met en place une équipe qui parvient à filmer ce forfait caché par les autorités japonaises et à en faire un documentaire (The Cove, oscarisé en 2009).
A noter de même qu'un média peut être lui-même le lanceur d'alerte. Ce sont des journalistes d'investigation du Boston Globe qui dévoilent au début des années 2000 (obtenant le Prix Pulitzer en 2003) le Scandale d'abus sexuels dans l'archidiocèse de Boston. Entraînant une crise de l'Eglise catholique aux Etats-Unis, cette affaire mènera, notamment, à la démission de l'archevêque de Boston, Bernard Law en 2003 (Spotlight, 2015).
Lanceurs d'alerte et cinéma
La multiplication des lancements d'alerte constituent un filon intarissable pour le cinéma, notamment Hollywood, toujours à l'affût d'un bon coup. Ce thème très à la mode désormais permet, en effet, de renouveler celui - plus général - du héros, bassiné à toutes les sauces au cinéma et à la télévision, et depuis belle lurette. A ce thème réactualisé viennent se greffer trois dimensions attrayantes : la réalité des faits (les personnages ont existé), un plaidoyer pour la justice et la transparence, et le combat de David contre Goliath. Ces deux dernières caractéristiques se combinent parfaitement puisque dans un monde où la justice sociale n'a jamais existé, les dominés réclament justement un partage équitable des ressources, des pratiques économiques transparentes et une justice impartiale. On s'identifie au lanceur d'alerte, celui-ci étant souvent de la classe moyenne et menant une vie ordinaire. Force d'ailleurs est de constater que les films dévoilant des scandales et centrés sur le protagoniste principal présentent des structures narratives similaires.
Une action périlleuse
Si les actions des lanceurs d'alerte entraînent un processus de régulation, de controverse ou de mobilisation sociale, elles mènent de même à une mise en danger du protagoniste. Wigand (The Insider) fut menacé de mort. Le même sort fut réservé à Robert Bilott (Mark Ruffalo) en 2016. Cet avocat d'un grand cabinet partit en guerre contre l'entreprise de produits chimiques DuPont, responsable de l'empoisonnement à petit feu des habitants et des animaux de la localité de Parkersburg (Virginie occidentale). Sa dénonciation médiatique mit en péril sa carrière et sa famille (Dark Waters, 2019). Fondateur de Wikileaks, Julian Assange (interprété par Benedict Cumberbatch dans The Fifth Estate, 2013) est actuellement en prison, à Londres. Quant à Edward Snowden (Joseph Gordon-Levitt), véritable porte-drapeau de cet univers, immortalisé d'abord dans un documentaire oscarisé (Citizenfour, 2014) puis fictivement par Oliver Stone (Snowden, 2016), il est poursuivi par la justice américaine pour espionnage mais a obtenu l'asile politique temporaire en Russie.
En 2004, Dan Rather, journaliste vedette et sa productrice Mary Maples diffusent sur CBS un reportage racontant comment George W. Bush aurait essayé d'échapper à ses obligations militaires entre 1968 et 1974 - grâce à ses connections familiales et politiques - afin d'éviter de participer à la guerre du Vietnam. Les deux audacieux perdront leur emploi (Truth, 2015). Toujours dans le domaine politique (mais dans une dimension plus choquante), le journaliste Gary Webb (Jeremy Renner) du San José Mercury News, perdra la vie pour avoir osé défier la CIA et le gouvernement américain, révélant au grand public en 1996 que ces deux instances avaient monté et orchestré une opération secrète durant les années 1980, consistant à inonder les quartiers afro-américains de Los Angeles de crack en provenance du Nicaragua et à armer en contrepartie la rébellion contra dans sa guerre contre le gouvernement sandiniste (Kill the Messenger, 2014).
L'organisation des nations unies, supposé porte-flamme de la paix et de l'éthique, n'échappe pas non plus aux scandales. Les crimes sexuels commis ces dernières années par des casques bleus sur des mineures en Centrafrique (et dénoncés en 2016 par l'ONG CodeBlue) rappellent l'histoire de Kathryn Bolkovac (Rachel Weisz). Cette policière travaillant pour la compagnie privée américaine DynCorp dans le cadre d'un contrat dépendant de l'ONU, démantèle un réseau de prostitution impliquant des officiels de l'instance internationale en Bosnie-Herzégovine (années 1990). Vu les enjeux financiers (l'ONU a payé 15 millions de dollars à DynCorp) et les possibles retombées politiques, elle faillit y perdre la vie et ne travailla plus jamais pour la justice internationale. Des officiels onusiens durent démissionner mais aucun ne fut poursuivi en raison de leur immunité diplomatique (The Whistleblower, 2010).
Dans le domaine du sport, le neurologue pathologiste d'origine nigériane Bennet I. Omalu (Will Smith) révolutionne en 2002 le monde de la neurologie en découvrant des cas d'encéphalopathie traumatique chronique au sein de la National Football League. Dénonçant les dangers du sport le plus populaire aux Etats-Unis, il se fait vilipender par la NFL (vu les millions de dollars que brasse ce sport) qui tente de ruiner sa carrière (Concussion, 2015).
Lanceurs d'alerte et Guerre d'Irak (2003)
Dans le sillage de la guerre d'Irak de 2003, l'agente de la CIA, Valerie Plame (Naomi Watts), parvient à prouver avec l'aide de son époux (l'ambassadeur Joseph Wilson) que l'Irak ne s'est pas fourni en uranium auprès du Niger, argument qu'utilise le président américain George W. Bush pour justifier une invasion US de l'Irak. Mais les conclusions de son rapport sont ignorées par l'administration Bush... Wilson publie donc le rapport dans le New York Times. Conséquence : des membres de l'administration US dévoilent via la presse l'identité de Valerie Plame, grillant sa couverture (et mettant en danger ses contacts à l'étranger) et la discréditant (Fair Game, 2010).
A la même époque, Katharine Gun (Kiera Knightley) - agente des renseignements britanniques - transmet au quotidien The Observer un document transmis par la NSA et attestant d'un plan américain visant à soudoyer des membres non-permanents du Conseil de sécurité de l'ONU afin d'obtenir leur vote en vue d'une invasion de l'Irak. Gun sera poursuivie par la justice mais finalement acquittée car d'après la justice britannique, la condamner aurait entraîné la justice britannique à reconnaître l'illégalité d'une agression contre l'Irak (Official Secrets, 2019).
Toujours en 2003, l'armée américaine et la CIA sont empêtrés dans le Scandale d'Abou Ghraib. Dans cette prison située à 32 km de Bagdad, des membres des deux institutions infligeaient aux prisonniers irakiens des sévices dépassant l'entendement. C'est l'ONG de défense des droits de l'homme Amnesty International qui dévoilait le scandale, relayée ensuite par les médias américains (Standard Operating Procedure, 2008). Le même scandale touchera une autre prison d'un pays occupé par l'armée américaine, celle de Bagram en Afghanistan, sauf que dans ce cas-là, la torture volontaire mènera au meurtre prémédité de deux prisonniers (Taxi to the Dark Side, 2007). Pays très pauvre (le mot est faible), en guerre sans discontinuité depuis 1989 et foyer de l'islamisme radical, l'Afghanistan sera au cœur du programme secret de drones du gouvernement américain, révélé par The Guardian grâce aux informations de trois lanceurs d'alerte (National Bird, 2015).
Le trident Maison-Blanche/CIA/NSA est d'ailleurs systématiquement dans les mauvais coups. En 2010, c'est grâce, notamment, aux révélations d'anciens employés de la NSA qu'est dévoilée une opération secrète conjointe (renseignements américains, britanniques et israéliens) - appelée "Olympic Games" - visant à détériorer le fonctionnement du programme nucléaire iranien via une cyber-attaque (Zero days, 2016). Cette même NSA aurait pu, semble-t-il, éviter à la première puissance mondiale le plus grand attentat terroriste survenu sur son territoire, d'après les révélations d'un de ses anciens analystes (A Good American, 2015). La CIA et le FBI avaient également les moyens d'arrêter cela mais leur compétition couplée aux manigances de la CIA et à l'incompétence de l'administration Georges W. Bush n'a pas permis de contrecarrer les plans de la nébuleuse Al Qaïda (l'histoire est racontée dans la série The Looming Tower de la chaîne Hulu - 2018).
Récemment : les arnaques du siècle
Le temps passe et les dimensions scandaleuses des affaires s'amplifient. Deux scandales récents et survenus à deux années d'intervalle constituent tout simplement le summum en termes de volume d'informations, de sommes d'argent brassées et d'impact politique ou financier. Le scandale des Panama Papers (2016), impliquant fraude fiscale, évasion fiscale et blanchiment d'argent démarre avec une fuite de plus de 10 millions de documents (2.6 téraoctets de données) attestant de plusieurs milliards de dollars volés (The Panama Papers, 2018). Quant au scandale Facebook-Cambridge Analytica (2018), il révèle l'utilisation illégale de données de 87 millions de personnes (toujours The Guardian) et le rôle fondamental d'une société de stratégie politique dans deux événements politiques majeurs (The Great Hack, 2019).
Quant aux facteurs expliquant la multiplication des lancements d'alerte, ils sont sans aucun doute multiples et nous pouvons mettre en avant parmi ceux-là l'impact des nouvelles technologies (internet et réseaux sociaux). Tout est traçable désormais et rien ne peut être longtemps caché. Nous pouvons ajouter à cela un phénomène mondial de creusement des inégalités socio-économiques et de paupérisation massive des classes moyennes et pauvres. C'est ce facteur - induit par un phénomène de mondialisation ultra-libérale contrôlée par les plus riches - qui explique les crises sociales, économiques ou politiques (souvent les trois à la fois) de 2019 dans de nombreux pays (Chili, Liban, Honduras, Haïti, Iran, Colombie, Venezuela, Irak...etc).
Or, ces inégalités sont essentiellement causées par des combines financières illicites : fraude fiscale et évasion fiscale lorsqu'il s'agit du secteur privé (mais les politiques usent largement de ces pratiques), détournement de fonds (et autres) lorsqu'il s'agit de fonctionnaires de l'Etat. Cette deuxième tendance donne lieu à ce qu'on appelle une kleptocratie, soit le "gouvernement des voleurs" (kleptos = vol ; kratos = gouverner), un terme que l'on peut appliquer à la Russie de Poutine, la Libye de Kaddhafi, la Tunisie de Ben Ali, le Liban depuis belle lurette et bien d'autres... C'est d'ailleurs le titre d'un documentaire décryptant le Scandale 1MDB, démarrant en Malaisie et ayant des ramifications mondiales (The Kleptocrats, 2018). C'est ainsi que la possibilité pour des spécialistes de tracer tout et n'importe quoi via internet et la poursuite (le monde ne change pas) en parallèle de pratiques financières illégales mènent au dévoilement régulier de scandales : Offshore Leaks (2013), LuxLeaks (2014), SwissLeaks (2015), Panama Papers (2016), Football Leaks (2016), Bahamas Leaks (2016), Paradise Papers (2017), Football Leaks 2 (2018), Mauritius Leaks (2019), Luanda Leaks (2020)... La liste est longue (pour des scandales récents de tout genre, voir la série-documentaire Dirty Money (2018 - ) de Netflix) et devrait continuer à constituer un filon intarissable pour le cinéma ou la télévision.
J. N
Fictions/documentaires liés au dévoilement de comportements illicites (liste non-exhaustive).
- Official Secrets (Gavin Hood, 2019)
- Dark Waters (Todd Haynes, 2019)
- The Great Hack (Karim Amer, Jehane Noujaim, 2019) - documentaire
- XY Chelsea (Tim Travers Hawkins, 2019) - documentaire
- The Report (Scott Z. Burns, 2019)
- The Laundromat (Steven Soderbergh, 2019)
- The Kleptocrats (Sam Hobkinson, Havana Marking, 2018) - documentaire
- The Panama Papers (Alex Winter, 2018) - documentaire
- The Post (Steven Spielberg, 2017)
- Mark Felt: The Man who Brought Down the White House (Peter Landesman, 2017)
- Snowden (Oliver Stone, 2016)
- Zero Days (Alex Gibney, 2016)
- National Bird (Sonia Kennebeck, 2016) - documentaire
- La fille de Brest (Emmanuelle Bercot, 2016)
- Concussion (Peter Landesman, 2015)
- Spotlight (Tom McCarthy, 2015)
- Truth (James Vanderbilt, 2015)
- A Good American (Friedrich Moser, 2015) - documentaire
- L'enquête (Vincent Garenq, 2014)
- Citizenfour (Laura Poitras, 2014) - documentaire
- The Fifth Estate (Bill Condon, 2013)
- We Steal Secrets: the Story of Wikileaks (Alex Gibney, 2013) - documentaire
- The Whistleblower (Larysa Kondracki, 2010)
- Fair Game (Doug Liman, 2010)
- The Informant! (Steven Soderbergh, 2009)
- The Cove (Louie Psihoyos, 2009) - documentaire
- Standard Operating Procedure (Erroll Morris, 2008) - documentaire
- Taxi to the Dark Side (Alex Gibney, 2007) - documentaire
- North County (Niki Caro, 2005)
- Good Night, and Good Luck (George Clooney, 2005)
- Erin Brockovich (Steven Soderbergh, 2000)
- The Insider (Michael Mann, 1999)
- Silkwood (Mike Nichols, 1983)
- All the President's Men (Alan J. Pakula, 1976)
01:34 Publié dans Documentaire, Film, Liste/Classement | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : the report, adam driver, dianne feinstein, lois jenson, charlize theron, north country, oceanic preservation society, boston globe, louie psihoyos, ric o'barry, the cove, daniel j. jones, benedict cumberbatch, irak, joseph wilson, niger, fair game, panama papers, the great hack, the kleptocrats, ai fen, li wenliang, coronavirus, zero days, mossad, cia, the looming tower, harvey weistein, mauritius leaks, russie, luxleaks, swissleaks, bahamas leaks, paradise papers, offshore leaks, kleptocratie, luanda leaks, football leaks, liban, chili, iran, honduras, cambridge analytica, facebook, netflix, the panama papers, lanceur d'alerte, edward snowden, daniel ellsberg, mark felt
29/02/2020
Indice de perception de la corruption - 2019
L’ONG Transparency International a publié fin janvier 2020 son classement annuel sur la perception de la corruption des Etats. Créée en 1993 et basée à Berlin, cette ONG a pour vocation la lutte contre la corruption des gouvernements et institutions gouvernementales. Définissant la corruption comme « l’abus d’une fonction publique à des fins d’enrichissement personnel », Transparency International jouit d’un rayonnement mondial et possède des sections dans plus d’une centaine de pays.
Communiqué officiel
« Transparency International est l'organisation mondiale, issue de la société civile en pointe de la lutte contre la corruption. Elle rassemble les peuples à travers une puissante coalition mondiale dans le but de mettre fin à l'impact dévastateur de la corruption sur les hommes, les femmes et les enfants dans le monde entier. La mission de Transparency International est d'instiguer des changements jusqu'à ce que le monde soit libre de toute corruption. »
Mode de calcul
Comme il n’y a pas – par définition – de données publiques et exhaustives de la corruption, l’évaluation de la corruption se fonde d’une part sur des indicateurs provenant d’institutions internationales et d’autre part sur des sondages de personnalités provenant des milieux politiques, universitaires et des entreprises. Les Etats sont classés selon une échelle allant de 100 (très peu corrompu) à 0 (très corrompu).
Limites
Il est quasiment impossible de quantifier le phénomène de corruption, qui par ailleurs n’est pas que public. De même, il y a différents types de corruption (même à l’intérieur d’un même pays), qui par conséquent ne sont pas comparables. En outre, les cas de corruption qui concernent le monde des entreprises ne sont pas pris en compte. Enfin, Transparency International reçoit des financements d’entreprises faisant elles-mêmes l’objet de condamnations pour des faits de corruption.
Tendances
Comme dans des classements similaires (Indice de démocratie, Indice de liberté de presse), on retrouve dans le TOP 10 les pays nordiques. Le Danemark est premier (7ème dans le classement des pays selon l'Indice de démocratie, où la Norvège est première. Le monde occidental s'en sort bien, avec des indices peu élevés (voir ci-dessous) mais des pays comme la France et les Etats-Unis ne sont "que" 23èmes (ex-aequo). La Chine est 80ème tandis que la Russie est 137ème, ex-aequo avec le Liban. C'est le Qatar qui se classe le mieux dans le monde arabe (30e).
Dans le bas de ce classement de 179 Etats + Hong Kong (16e), l'Afrique occupe une place importante avec 21 Etats parmi les 37 derniers. On retrouve là des Etats effondrés (Yémen, Somalie, Afghanistan), instables (Soudan, Soudan du Sud, Venezuela, Irak), des régimes quasi-totalitaires (Corée du Nord, Turkménistan), des guerres civiles (Congo-Kinshasa, Libye), et bien entendu une ribambelle de PMA... Bref, là où la corruption est très élevée, il y a fort logiquement une pauvreté très élevée. J. N
Les 10 Etats les mieux classés
1. Danemark
1. Nouvelle-Zélande
3. Finlande
4. Suède
4. Suisse
4. Singapour
7. Norvège
8. Pays-Bas
9. Luxembourg
9. Allemagne
Les 10 Etats les moins bien classés
180. Somalie
179. Soudan du Sud
178. Syrie
177. Yémen
173. Soudan
173. Afghanistan
173. Venezuela
172. Corée du Nord
168. Libye
168. Guinée-Bissau
23:37 Publié dans Liste/Classement | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : corruption, indice de perception de la corruption, transparency international, indice de corruption, berlin, allemagne, nouvelle-zélande, finlande, suède, suisse, singapour, norvège, pays-bas, luxembourg, somalie, guinée-bissau, yémen, soudan, afghanistan, venezuela, corée du nord, soudan du sud, syrie, congo-kinshasalibye, irak, turkménistan
05/09/2018
Classement selon la production de gaz à effet de serre par le pétrole
Un article très instructif du site web du magazine Sciences et Avenir que le pétrole et ses dérivés ne polluent pas uniquement lors de leur combustion mais également lors de leur extraction. Les estimations des chercheurs étant associées à une marge d'erreur, il est difficile d'effectuer un palmarès des pays dont l'exploitation de pétrole produit le plus de carbone. Mais une estimation a été faite par une équipe scientifique de l'Université de Stanford (Etats-Unis). Elle est la suivante (2015) :
1. Algérie
2. Venezuela
3. Cameroun
4. Canada
5. Iran
6. Turkménistan
7. Indonésie
8. Soudan
9. Trinidad et Tobago
10. Irak
11. Gabon
12. Malaisie
L'article complet de Sciences et Avenir sur le lien suivant :
https://www.sciencesetavenir.fr/nature-environnement/petrole-et-gaz/le-palmares-des-pays-ou-l-extraction-du-petrole-produit-le-plus-de-gaz-a-effet-de-serre_127129
J. N
20:42 Publié dans Liste/Classement | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : pétrole, gaz à effet de serre, venezuela, algérie, canada, iran, turkménistan, indonésie, soudan, trinidad et tobago, irak, gabon, malaisie
11/01/2018
Egypte - Irak - Syrie - Yémen
Hormis le fait que ces quatre Etats présentent des drapeaux similaires, ils ont également en commun une histoire toute récente très mouvementée (l'adjectif est faible). Trois de ces pays arabes du Moyen-Orient ont vécu en 2011 le "Printemps arabe". Après une Première révolution (25 janvier-11 février 2011) qui mettait sur la touche le président Hosni Moubarak mais qui se terminait le 3 juillet 2013 avec le renversement de Mohamed Morsi (1), l'Egypte rentrait dans le rang avec le retour d'une présidence exercée par un homme issu de l'armée (Al-Sissi). Modifié à plusieurs reprises durant la deuxième moitié du XXème siècle, le drapeau (voir ci-contre) fut le même que celui de la Syrie entre 1958 et 1961 (les deux pays formaient à ce moment-là l'éphémère République Arabe Unie) puis entre 1972 et 1980 (les deux pays formant avec le Yémen une autre association éphémère, l'Union des Républiques arabes).
Le drapeau actuel date du 4 octobre 1984 (proportions 2:3) et porte au milieu de la bande blanche l'Aigle de Saladin (2) portant un écu et un bandeau portant le nom du pays en arabe. Plongée depuis 2011 dans ce qu'on peut appeler une guerre civile et régionale très complexe, la Syrie a changé de drapeau pas moins de neuf fois depuis 1920. Réadopté le 30 mars 1980, celui-ci (2ème drapeau) est le même que celui de la République Arabe Unie (voir plus haut), avec une couleur rouge légèrement éclaircie. Les deux étoiles représentent ainsi la Syrie et l'Egypte.
Inutile de rappeler ce que vécut l'Irak depuis 2003 : invasion américaine, guerre civile, présence de l'Etat islamique (Daech) sur une portion du territoire... Au centre de la bande du milieu (3ème drapeau, est inscrite (version courte) la shahâda, la profession de foi de l'islam dont elle constitue le premier des cinq piliers. Avec le Somaliland et l'Arabie Saoudite, l'Irak est la troisième entité politique à arborer ce symbole. Après la guerre civile (1967-1990) dont la fin marquait l'unification du Yémen, celui-ci entrait dans une nouvelle guerre locale en 2004 (Guerre du Saada).
A celle-ci se conjuguait la Révolution yéménite du Printemps arabe (27 janvier 2011-25 février 2012), mouvement de contestation populaire qui s'acheva avec le départ du président de la République Ali Abdallah Saleh. En 2014, une nouvelle guerre civile éclate, opposant la rébellion chiite Houthi aux forces fidèles à l'ex-président Saleh (celui-ci est tué par les Houthis le 7 décembre 2017). En mars 2015, le conflit s'internationalisait avec l'intervention militaire d'une coalition de pays arabes menée par l'Arabie Saoudite. Seul PMA du Moyen-Orient (si l'on considère que l'Afghanistan n'est pas compris dans cette zone géographique), le Yémen vit actuellement une famine touchant 8 millions de personnes (la population totale est de 26 millions). Son parcours politico-économique récent en fait par excellence ce qu'on appelle un Etat failli, ou encore, un Etat effondré. Les couleurs du drapeau adopté le 22 mai 1990 sont, comme pour les trois autres drapeaux, les couleurs panarabes :
- bande rouge : maison Hachémite du prophète Mohamed
- bande blanche : dynastie Omeyyade de Damas (661-750)
- bande noire : dynastie abbasside de Bagdad (750-1258) (3)
J. N
République arabe unie (1958-1961)
Union des Républiques arabes (1972-1977)
(1) Président du Parti Liberté et Justice (formation politique issue des Frères musulmans), il remporte l'élection présidentielle du 14 juin 2012, devenant le premier président égyptien élu démocratiquement. Le 3 juillet 2013, il est renversé par un coup d'Etat militaire, à la suite d'un vaste mouvement de contestation populaire.
(2) Objet panarabe utilisé en héraldique comme ornement extérieur de l'écu, l'Aigle de Saladin tire son origine du vizir d'Egypte Saladin qui avait unifié le monde arabe au XIIème siècle.
(3) Le vert est également une couleur du panarabisme (représentant la dynastie Fatimide) et se trouve sur d'autres drapeaux de pays arabes comme ceux de l'Autorité palestinienne et de la Jordanie.
16:00 Publié dans Drapeau | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : etat failli, etat effondré, couleurs panarabes, yémen, egypte, syrie, irak, shahâda, printemps arabe, république arabe unie